Le gardien des âmes était épuisé, qu’est-ce qui a changé dans cette réédition ?
Pierre Kretz : C’est le texte à l’identique, il avait marqué beaucoup de gens à l’époque, et je suis ravi de cette réédition. Je n’assumais pas du tout la couverture et elle a changé : l’illustrateur (Ange Mercuri, NDLR) est visiblement rentré dans le texte, le dessin de mon drôle de bonhomme dans sa cave donne une couverture belle et juste.
L’histoire agitée de l’Alsace—notamment les soldats qui ne sont pas revenus de Russie ou d’Algérie—est au cœur du roman…
Pierre Kretz : J’ai toujours eu le sentiment que les Alsaciens étaient traversés par l’Histoire, par une image, de grands silences, comme si c’était inscrit profondément en eux. Je suis né en 1950 à Sélestat, et j’ai passé mon enfance au pied du Haut-Koenigsbourg, à Rodern. Quelqu’un de 20 ans ne dirait plus la même chose, mais moi au village je l’ai senti, c’est ce qui m’a donné l’idée de ce personnage. C’est un peu la caricature d’un type qui devient fou, et il y en avait à l’époque !
On a le sentiment que c’est un grand-père qui raconte des histoires à son petit-fils ?
Pierre Kretz : C’est le cas en partie. Quand on écrit un roman, c’est un truc de bric et de broc, des souvenirs, des choses racontées, des histoires vraies, on mélange tout ça, ça donne un roman. Pour l’alsacien, ce sont des choses entendues, « nit heimkomme von Russlànd », j’ai baigné là-dedans dans ma famille. En vérité, oncle Paul c’est mon père, qui était instit’, et il a été envoyé là-bas pour l’Umschulung. Ce sont ses souvenirs à lui, et c’est là que j’ai entendu l’anecdote de la Dummschulung.
La langue justement, français ou allemand, est un peu le fil rouge de l’histoire ?
Pierre Kretz : Les gens traversés par l’Histoire le sont aussi par les conflits de langues : on en parle une, on vous interdit de la parler, l’autre est meilleure, vous dites bonjour-salut, vous partez en camp à Schirmeck, vous décidez que vos enfants parleront autre chose… Il y a de quoi perdre la boule avec ces histoires de langue !
L’info en plus
L’historien Daniel Fischer a écrit la postface et ajouté une bibliographie à la fin du livre, qui permet de situer les séquences du roman dans l’histoire. Pierre Kretz apprécie son apport, mais précise que lui-même n’a « consulté aucun bouquin, car le risque, c’est d’être dans le documentaire, alors que l’histoire doit être portée par un personnage de roman ».