Le phénomène prend de l’ampleur. En France, les maires démissionnent en masse : + 55% depuis 4 ans, surtout dans les petites communes. Trop de problèmes à régler, des administrés qui ne pardonnent rien et s’épanchent sur les réseaux sociaux, des responsabilités de plus en plus grandes, des dotations et des moyens qui baissent, les maires sont-ils fatigués ? À deux doigts de jeter l’éponge ?
Maxi Flash avait envie de connaître le ressenti des maires, de prendre la température en Alsace du Nord, car la période semble compliquée. Dans le même temps, Christophe Castaner affirme le contraire, tout va bien, le chiffre des démissions serait loin de la vérité, le ministre qui promet dès l’année prochaine un budget en légère augmentation. Alors, les maires d’Alsace du Nord ont-ils encore le moral ? Réponse avec Christian Gliech à Wissembourg qui a soutenu Macron, Charles Schlosser à Lembach qui a toujours voté à gauche, Denis Hommel maire LR d’Offendorf et Vincent Debes, maire d’Hoenheim et président de l’Association des maires et des présidents d’intercommunalités du Bas-Rhin.
La baisse des dotations
Pour Christian Gliech, les moyens qui baissent et les responsabilités qui augmentent, « c’est un peu cliché quand même », c’est un discours que l’on a entendu sous Sarkozy, sous Hollande et maintenant sous Macron. Pour lui, la plus grande difficulté est l’administration, elle est dans une bulle déconnectée de la réalité.
« En France on n’a jamais su décentraliser, les services de l’État sont des super contrôleurs qui n’ont pas une assez bonne connaissance du terrain » dit-il, surchargé par des couches de réglementations et de procédures qui s’ajoute à une gestion déjà très prenante au quotidien, « mais nous restons quand même dans des missions très concrètes et valorisantes », conclut le maire de Wissembourg qui voit dans l’étiolement des dotations l’opportunité de trouver des solutions nouvelles.
Pour Denis Hommel, cette baisse ne peut pas être compensée par la fiscalité et l’augmentation des impôts locaux. Or, les besoins des communes continuent de progresser, elles se dotent quasiment toutes d’un périscolaire par exemple. Le premier magistrat d’Offendorf affirme que la situation est devenue ingérable, qu’il est difficile de trouver la porte de sortie, de répondre aux demandes quand les budgets sont réduits : «Nous sommes obligés de serrer les boulons, d’économiser au maximum, d’essayer de créer des fonds propres et ensuite d’emprunter, mais pour nos différents projets, on espère quand même obtenir les subventions qui permettent de boucler le tout. Le rôle du maire n’est pas de prendre des risques financiers. Il y a dix ou quinze ans, nous avions plus de possibilités» alors qu’à Offendorf, la construction d’une école maternelle est compliquée à financer depuis trois ans. C’est certainement le cas ailleurs, car les mairies ne disposent pas des mêmes dotations de l’État. Wissembourg par exemple est autour de 15% de son budget quand d’autres sont à 50%. L’impact n’est pas le même d’une commune à l’autre. Mais il faut faire avec les nouvelles règles, ou sans ? Vincent Debes note que la fameuse réserve parlementaire n’existe plus, qu’elle représentait parfois un coup de pouce : « Quand il manquait quelques milliers d’euros sur un projet, cela était très intéressant ». Denis Hommel, dans son 5e mandat, a connu une époque où il fallait s’organiser, être dans d’autres structures pour « faire passer » les dossiers de sa ville ou de son village ; pour lui l’intercommunalité est une possibilité de réaliser des économies (d’énergie notamment). De son côté, Charles Schlosser maire à Lembach depuis plus de 20 ans, sait à quoi il s’engage ; la baisse des dotations participe au redressement de la France et à la réduction de la dette, comme l’avait imaginé François Hollande, il constate que les responsabilités augmentent, mais pour lui, « Quand un maire est élu, il doit aller au bout ». À Lembach, on compense le rabais des dotations en faisant des économies, sans réduire les moyens humains, mais on accepte volontiers des aménagements de temps de travail qui réduisent les salaires. «Dans chaque commune, on peut faire quelques économies», ajoute Schlosser, certains investissements ne sont pas forcément justifiés, une grande maison de l’intercommunalité a un coût, par exemple.
Pour Vincent Debes, le président de l’Association des maires du Bas-Rhin, il y a moins d’argent oui, mais ce qui fatigue les maires se sont surtout les décisions qui se prennent sans qu’ils soient dans la boucle : « L’État impose des choses, sans donner des moyens et sans concerter les maires. On est là pour faire le sale boulot et quand des décisions importantes sont prises, on ne nous contacte même pas ». Denis Hommel va dans le même sens et rejoint Christian Gliech sur le sujet :
« L’administration, une bulle déconnectée de la réalité » disait l’élu de Wissembourg, Hommel en rajoute une couche et pense que le blues des maires est dû au fait que les hautes instances nationales ne comprennent plus les réalités du terrain.
C’est de la faute du maire,
on a tout vu sur Facebook !
Alors, évidemment, le maire n’est pas responsable de la pluie et du beau temps, mais il essuie quelques averses sur les réseaux sociaux qui, pour Christian Gliech ont beaucoup libéré la parole : « Parfois c’est constructif, mais le maire est très exposé, il est injustement mis en cause par des critiques faciles, Il faut une certaine carapace. Quand on est tellement investi et que l’on subit des insultes sous la ceinture, on a parfois envie de jeter l’éponge, mais on repart de l’avant, on garde le moral ». Le sentiment est partagé par beaucoup de maires comme l’affirme Vincent Debes : « Les administrés sont de plus en plus exigeants, dès qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, c’est de la faute du maire. Le monde est de plus en plus égoïste, ce qui prime est l’intérêt personnel, plus celui de la collectivité ».
Le phénomène est évidemment plus important dans les petites communes où la parole et la responsabilité des élus sont plus remarquées.
Alors, ce moral ?
Pour Vincent Debes, dans le Bas-Rhin « Le moral des maires est entamé », c’est le sentiment qui se dégage, il y a un manque de sérénité. Denis Hommel lui garde la foi : « Nos collectivités se développent quand même, notre population est en croissance, notre niveau de chômage est plus acceptable que dans beaucoup d’autres endroits en France, le monde associatif est toujours dynamique, et des entreprises cherchent à s’implanter sur notre territoire, le contexte économique n’est pas extraordinaire, mais il n’est pas mauvais». À Wissembourg, ce qui donne de l’espoir à Christian Gliech, c’est son bilan en fin de deuxième mandat : « Au bout de quelques années, on voit les résultats de la politique que l’on a mis en place, les beaux projets qui arrivent, la population qui s’approprie les nouveaux dispositifs, on se sent utile ». Charles Schlosser n’est pas affecté, même s’il attend toujours une simplification des normes. « Le monde évolue, ce n’est pas évident non plus pour les chefs d’entreprises ». Parfois le maire est aussi un patron. Denis Hommel, maire d’Offendorf pense que son métier est de moins en moins compatible avec une deuxième activité, qu’il est très difficile d’avoir une famille, un métier et d’être maire en même temps : « C’est sans doute pour cela que les maires jettent l’éponge ».Aujourd’hui qu’il est retraité, sa tâche est plus facile.
Démissions ?
Le maire de Lembach, Charles Schlosser, a observé de près l’évolution des démissions, car pour lui, quelqu’un qui abandonne son mandat ne le fait pas de gaité de cœur, mais quitter la barre en pleine tempête n’est pas dans ses habitudes. Du côté des bureaux de Vincent Debes, on affirme que certains maires en ont ras le bol, mais, à sa connaissance, il n’y a pas d’intention de démission en Alsace. Même si le sentiment général est que les maires sont saturés par les normes et les contraintes nouvelles, que le suivi des dossiers techniques ou juridiques n’est pas toujours facile, que l’association des maires intervient comme soutien ou conseil de plus en plus souvent, le moral des premiers magistrats n’est pas en berne.
Rendez-vous en 2020 ?
La conclusion s’impose : la fonction est compliquée, mais la plupart des maires gardent un moral d’acier, ils travaillent sans relâchement, ils vont de l’avant. La plupart vous diront qu’il est trop tôt pour se regarder dans la glace le matin et pour réfléchir à leur prochain mandat, mais Vincent Debes sait déjà qu’un certain nombre se retirera : « Je ne suis pas étonné de voir des maires qui ne veulent pas repartir pour un autre mandat ». Ils ont encore deux ans pour changer d’avis, pour se battre au quotidien, pour que les Alsaciens continuent de penser que m’sieur l’maire est encore leur « politique »préféré. Dans le contexte actuel, ce n’est pas un petit exploit.