Me voilà donc face au rédacteur en chef de Maxi Flash à discuter de la façon dont nous pourrions donner vie à cette chronique à laquelle je pense depuis longtemps :
le billet d’humeur d’une Alsacienne expatriée qui partage son regard amusé et décalé sur le monde, à la façon des Lettres persanes de Montesquieu (l’Alsacien se reconnaît aussi à ça : il est modeste).
Une première idée de chronique émerge très vite : c’est quoi être Alsacien ? Mais pour traiter le sujet, une encyclopédie en douze volumes n’y suffirait pas. Nous nous accordons sur un angle plus subtil : C’est quoi un « vrai » Alsacien ? Mon interlocuteur est Parisien de naissance et vit en Alsace depuis quarante ans, est-il moins Alsacien pour autant ? Et moi-même, humoriste expatriée à Paris depuis trente-cinq ans, en ai-je perdu mon alsaciannité ? À en croire mes détracteurs, oui ! Comme cette spectatrice qui s’exclame « Vous n’êtes pas une vraie Alsacienne ! », parce que je ne connais pas son village d’origine, dont elle m’a donné le nom en alsacien bien sûr ! Des patelins, il y en a des centaines qui ont un nom français et alsacien. Alors, oui, j’avoue, je ne les connais pas tous, mais au moins… je sais les prononcer !
Je me vois aussi reprocher, via les réseaux sociaux, de ne pas avoir le « bon » accent, comme s’il n’y avait qu’un seul accent en Alsace. Ça vient d’ailleurs souvent d’une Josette de Nice ou de Cannes qui a passé deux semaines en Alsace il y a vingt ans, mais qui s’y connaît mieux en accent alsacien que moi dont la langue véhiculaire à la naissance fut l’alsacien et qui n’appris le français qu’en entrant à l’école ?
D’autres sont offusqués que je prenne autant de liberté avec la coiffe alsacienne, oubliant qu’il existait jadis autant de coiffes différentes que de villages en Alsace. Ce n’est qu’en 1870 que la coiffe noire à la cocarde tricolore, symbole de la « province perdue », est devenue la norme dans l’imaginaire populaire. J’avoue cependant avoir préféré à la
« vraie » coiffe alsacienne dont le port nécessite Bac+5 en nœud et cordage, une version ultra-simplifiée avec bandeau que n’importe qui peut mettre en moins de 5 secondes. Et franchement, ça fait le job !
Je reviens de mon quatrième festival off à Avignon où les festivaliers n’ont jamais vu d’Alsacienne arborant costume, coiffe et accent avant que je ne débarque. Et la coiffe – même en version light – fait tout. Dès que je la porte, les gens me remarquent, sourient, m’abordent, veulent des photos… Elle redevient cet étendard de joie, de liberté et de créativité que les femmes se sont jadis approprié pour détourner l’injonction sociale de se couvrir les cheveux. Parfois même, la coiffe agit comme une madeleine de Proust, celui qui la voit passer devient comme fou, me court après et débite des paroles en alsacien comme un assoiffé se désaltère… Heureusement que je suis, en effet, une Alsacienne qui parle alsacien sinon j’aurais sans doute fini pendue à un des arbres de la place des Corps-Saints ! Pourtant je continue à défendre l’idée qu’on peut être un.e vrai.e Alsacien.ne sans parler alsacien et sans être né.e en Alsace.
Être Alsacien, c’est dans le cœur
C’est le sens de l’engagement, une certaine intégrité, des valeurs partagées, le goût de bien faire. C’est un attachement à la région qui nous en fait chercher les traces où que nous allions. C’est voir l’Alsace partout et c’est cette empreinte, ce sentiment, cette expérience que j’ai envie de partager avec vous. Alors non, je ne suis pas la garante d’une quelconque orthodoxie alsacienne, mais juste une humoriste qui veut mettre du rire et du bretzel dans votre vie, partager son amour de l’Alsace, en bousculant quelques clichés au passage.
Et oui, je suis bien une « vraie » Alsacienne… qui a épousé un Turc, qui déteste le preskopf, qui marche hors des clous, qui ose s’exposer et qui lave son linge sale en public sur scène. Parce qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’être une « vraie » Alsacienne.