Trois générations de restaurateurs se sont succédées au Lion avant vous, votre destin était tout tracé ?
Il fallait reprendre le restaurant oui, je n’avais pas tellement le choix. Mon père m’avait demandé de lui faire cette promesse. Du coup, nous avons repris l’affaire avec mon mari. Il s’est reconverti, car au départ il n’était pas du tout dans ce domaine. Il a fait le lycée hôtelier, avec une formation accélérée en a un an. Ma maman, qui était encore en cuisine à l’époque, lui a montré les anciennes recettes et lui a transmis son savoir-faire.
Que représente ce restaurant pour vous aujourd’hui ?
C’est le fruit de notre travail. Le nôtre et celui de nos ancêtres. En 2007, nous avons tout «arraché» et nous avons tout refait, en investissant 450 000 €. On voulait donner une autre image du lieu. Nous allons poursuivre, du mieux possible cette aventure, jusqu’à notre retraite, et après ça sera terminé, car notre fils n’est pas du tout dans le domaine.
Vous êtes fermés depuis sept mois, avant cette réouverture, dans quel état d’esprit êtes- vous ?
C’est compliqué. Les restaurateurs du canton de Haguenau ont un vrai souci de personnel. Certains sont revenus, mais beaucoup d’autres ont changé de voie pendant la pandémie. Ils exigent des salaires plus importants et ne veulent plus travailler le week-end ni le soir. Il y a énormément d’offres d’emploi dans notre secteur, mais on l’avait prédit, on le savait. On fera ce qu’on pourra et nous serons très heureux de rouvrir avec ceux qui seront là.
Mais tout finira par rentrer dans l’ordre ?
Sincèrement, je l’espère. Je pense qu’il faudra attendre le début de l’année prochaine pour voir arriver une nouvelle génération qui cherche du travail dans la restauration, mais pas avant. On se demande si l’on va pouvoir assurer tous les services. On ne sait jamais combien de couverts on va faire, et dans ce contexte, c’est une incertitude encore plus grande. On a vu quelques clients pendant le confinement avec la vente à emporter, mais ils prenaient leurs plats et ils repartaient, on n’avait pas le temps d’échanger plus de deux ou trois mots. Là, on sent qu’ils ont envie de revenir au restaurant, et nous avons très envie de les retrouver, alors…
Il faut que la génération qui arrive apprenne à aimer ce métier, il est difficile, mais c’est un beau métier, avec beaucoup d’avantages.
Pendant la fermeture, la vente à emporter a représenté quelle part de votre chiffre habituel ?
10 %, pas plus. Mais on n’a pas fait ça pour l’argent. Nous l’avons fait pour maintenir un lien, pour nous lever le matin, pour au moins faire quelque chose, car sept mois c’est très long.
Comprenez-vous cette fermeture ?
Non. L’État aurait pu faire les choses différemment. Au mois de novembre, au lieu de nous fermer brutalement comme au mois de mars, le gouvernement aurait pu laisser les restaurants ouverts au moins le midi, par exemple pour que les ouvriers du bâtiment puissent déjeuner. On aurait pu constater l’évolution des chiffres qui de toute façon n’étaient pas bons, alors que nous étions fermés. Résultat des courses, je ne pense pas que cela venait de nos établissements.
Pendant cette période, avez-vous perdu beaucoup d’argent ? Les aides de l’État ont-elles été suffisantes ?
80 % des établissements du secteur de Haguenau ont dû faire un PGE (Prêt Garanti par l’État). Ceux qui ont dépensé l’argent vont devoir le « rendre » l’année prochaine. Sinon, le fonds de solidarité a très bien fonctionné, l’argent était sur nos comptes dans les trois ou quatre jours après la demande. Cet argent a servi à couvrir les frais fixes et le chômage partiel a bien fonctionné également. Avec les aides, nous avons réussi à passer le cap.
Les restaurateurs du secteur sont-ils confiants ?
Oui. Ceux qui ont déjà ouvert ont vraiment très bien travaillé, même sous la pluie. Nous ne sommes pas angoissés, nous pensons que les clients vont revenir, que l’activité va repartir et que nous n’aurons plus besoin d’être sous perfusion.
Cette période vous a-t-elle permis de mieux communiquer entre vous, d’être plus solidaires ?
Oui. Nous l’étions déjà, mais j’ai eu beaucoup de restaurateurs au téléphone pendant cette période. Les liens se sont encore renforcés. Quand certains étaient en difficulté, nous avons dû intervenir. Nous étions en contact régulièrement avec Roger Sengel, le président des hôteliers-restaurateurs du Bas-Rhin, surtout en visioconférence, nous étions informés pour les aides. L’UMIH a beaucoup travaillé.
Combien de restaurants ont été obligés de fermer définitivement ?
Il y a un restaurant qui ne rouvrira pas, c’est vrai que le Covid est passé par là, mais il y a eu d’autres facteurs. À part celui-là, à ma connaissance dans notre secteur personne ne va fermer. Mais, nous allons attendre la fin d’année et le début de l’année prochaine pour tirer des conclusions.
Comment imaginez-vous l’avenir ?
Je ne sais pas, j’ai du mal à anticiper, peut-être que si vous me posez la question dans deux mois je pourrais mieux y répondre, mais je pense que les gens vont être enthousiastes, que petit à petit la vie reprendra normalement. On l’espère. Mais, je voudrais dire qu’il faut que les gens de notre branche se remettent au travail. Il faut que la génération qui arrive apprenne à aimer ce métier, il est difficile, mais c’est un beau métier, avec beaucoup d’avantages. Aujourd’hui, il semble totalement dénigré, il est parfois même stigmatisé. À l’école, on n’encourage pas les jeunes à travailler dans notre secteur.
Qu’allez-vous dire à votre premier client le 9 juin ?
Heureux de vous revoir et de pouvoir vous servir à table ! Ça sera très spécial, jamais je n’aurais pu imaginer tout ça.