En quelques mots, pouvez-vous parler de votre parcours ?
Après le bac, je suis partie en Inde avec ma mère et j’ai rencontré quelqu’un que j’ai suivi en Nouvelle-Calédonie où j’ai vécu pendant 30 ans. Puis, avec mon mari, nous sommes devenus les plus grands producteurs de bananes, mais j’ai très vite commencé mon travail en tant qu’artiste plasticienne. Je suis autodidacte. J’ai commencé à faire des expositions, et surtout, au fur et à mesure des rencontres, j’ai pu organiser de gros événements collectifs. Après 30 années, je suis revenue en Europe. Comme mon père possède une maison secondaire en Alsace, je me suis installée ici pour être près de lui. Ça me rappelle mes vacances d’été quand j’étais petite à Gœrsdorf. Je suis arrivée le 17 octobre 2019, juste avant le Covid, mais ici, dans cet espace rural, ma capacité à gérer des événements collectifs est utile. Il n’y a pas beaucoup d’événements pour les artistes qui vivent à la campagne.
C’est pour cette raison que votre engagement est important ?
Je suis toujours en train de l’expérimenter, mais pour l’instant, les artistes semblent heureux qu’il se passe quelque chose d’un peu différent dans l’Outre-Forêt. À Preuschdorf, les gens du village viennent voir ce qui se passe, même s’ils ne comprennent pas toujours ce qui se passe à la Case: j’ai une artiste performeuse en ce moment, c’est du costaud, on n’a pas l’habitude de voir des choses comme ce qu’elle propose, on est plus dans l’artisanat d’art, dans les traditions, et moi j’essaye de créer des ponts.
Votre nouvelle expo De fil et de faire est organisée avec le Festival du Point de croix qui existe depuis de nombreuses années. Comment cela s’est passé ?
La collaboration n’a pas été forcément facile au début, car la Maison rurale a sa façon de fonctionner, et moi je voulais qu’à La Case cela se passe autrement. Je gère ma communication, j’essaye de faire venir du public pour les artistes qui se sont donné la peine de créer, au-delà des aficionados du point de croix ou de la broderie. Il y a des propositions assez féministes, des artistes comme Corine Kleck ou Françoise Maillet, des artistes qui touchent le textile pour en faire des œuvres. Andrée Weschler fait d’immenses colliers de perles en porcelaine. Et j’ai aussi deux nanas qui font du patchwork. Il y aura beaucoup de diversité, beaucoup de rencontres. Moi-même je propose une partie d’un travail que j’avais fait avec des dentelles et des soutiens-gorge et je ferai une œuvre de Street-art sur le mur extérieur.
Vous parlez beaucoup de collectif et vous dites que l’on vit une époque crépusculaire, qu’il faut changer d’époque. Le collectif est-il la clé pour ce changement ?
Je m’aperçois que, quand je rencontre des artistes qui la plupart du temps sont ouverts – cette ouverture au collectif que je véhicule par habitude, car en Nouvelle-Calédonie la vie d’artiste plasticien est extrêmement dure – c’est très important oui. Je crois que l’on doit réfléchir ensemble.
Êtes-vous heureuse en France, en Alsace ?
J’adore. Bon, je me les pèle. Le premier hiver était cool, mais alors le dernier, j’ai « ramassé ». Je n’aurais jamais pu me réinstaller en Allemagne, car à l’autre bout du monde je suis devenue une métisse franco-allemande. Je m’entends bien avec les Alsaciens, ce sont de grands travailleurs. J’aime énormément ce petit coin de l’Outre-Foret. Je rêve qu’un jour, un paysan arrête son tracteur devant La Case et aille voir une petite expo en passant. Après, pour les artistes, il faudra que j’arrive à faire venir des collectionneurs et des aficionados d’art.
Ce lieu, La Case, va évoluer ?
Oui, il faut que je rénove le premier étage pour en faire un gîte et un lieu de résidence d’artistes. Et j’essaye de mettre en place une prochaine expo pour le mois de mai. J’espère trouver le temps de créer, car depuis que je suis arrivée, avec l’organisation de La Case, je n’ai presque rien fait.
Comment parlez-vous de votre travail ?
C’est quand même protéiforme. Ici, je suis obligée de dire que je n’ai pas encore eu le temps de beaucoup travailler et en Nouvelle-Calédonie, ils ont mis beaucoup de temps à reconnaître mon œuvre, alors je ne suis pas sortie d’affaire. Je fais beaucoup de choses, j’y vais étape par étape, mais je reprendrai la gravure avant tout. Je voudrais aussi développer un projet dans les schlups, les mini-espaces entre les maisons, ils sont très longs et font entre 30 centimètres et un mètre de large. Ce sont des
« non lieux ». En fait, j’essaye toujours de faire des choses qui apportent quelque chose à la communauté qui m’entoure, qu’elle soit artistique ou pas.
Qu’est-ce qui est le plus important pour vous dans la vie ?
Être en accord avec soi-même, et libre. Je n’ai jamais fait d’enfant pour cela. La question du bonheur n’est pas simple. J’ai un chien et je m’occupe de mon père, c’est un homme formidable qui a la maladie de Parkinson et qui d’ailleurs va participer à l’expo. Quand je me lève, je suis contente de voir les oiseaux, d’être dans la nature, je ne pourrais plus vivre dans une ville. Je suis heureuse d’avoir des projets, même si c’est beaucoup de travail.
Vous mangez encore des bananes ?
Quand vous récoltez jusqu’à deux tonnes de bananes par semaine, que vous les lavez, les mettez en cageots, vous ne pouvez plus les voir. Je n’en mange plus depuis de longues années.