Quand on avait une colle le jeudi après-midi et s’il y avait beaucoup de collés, c’était dans la salle des fêtes du bahut, et on devait recopier 100 fois une phrase très longue qui commençait toujours par « Je ne dois pas… » et que le pion nous donnait pour avoir la paix et fumer sa clope tranquille.
J’avais un truc assez épatant, et qui marchait très bien : avec des élastiques, j’attachais deux stylos Bic à une règle plate en me débrouillant pour que l’écart soit exactement celui d’une ligne de double feuille à grands carreaux. En appuyant bien, je faisais en 50 fois 100 lignes. Plus tard, quand je fus pion (il y avait les SE, surveillants d’externat, et les MI, maîtres d’internat, pour les dortoirs la nuit) j’ai voulu innover. Au lieu de donner 100 lignes, je demandais de copier un texte sur une grande feuille que je fournissais (récupération des chutes à l’imprimerie des Dernières Nouvelles où j’étais aussi pigiste pendant mes études de journalisme).
C’était une page du Gaffiot que je faisais recopier en exigeant de ne faire aucune faute. En une année, je n’ai obtenu que 13 pages, moi qui rêvais d’avoir le dictionnaire de latin manuscrit en entier. Le dico du lycée avec sa couverture en tissu bordeaux foncé et le haut du dos cassé, et avec un tampon bleu sur la page de titre, faisait 1702 pages jusqu’à zythum, i, n, bière, boisson faite avec de l’orge. Mes élèves punis se sont donc arrêtés à la page 13, le verbe àbùtor, transitif, user jusqu’à disparition de l’objet. Ironique frustration pour mes ambitions de bibliophile. Le monde avait bougé c’est évident, on donnait moins de colles « que de mon temps », lorsque j’étais en 6e.