jeudi 21 novembre 2024
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Yannick Germain – Rencontres en cuisine

Son amour pour la cuisine a grandi dans une maison qui existe depuis 1880, il est la quatrième génération à tenir l’auberge Au bœuf à Sessenheim. De ses racines alsaciennes, Yannick Germain garde l’authenticité de la terre, et de son côté normand, par son père parti trop tôt, le côté explorateur de la mer. Et lorsque ses yeux pétillent en parlant de Laure, son amour d’enfance retrouvé récemment, tous les ingrédients sont réunis pour des plats qui tutoient les étoiles.

Vous avez grandi dans cette maison, à quoi ressemblait votre enfance ?

J’y ai beaucoup de souvenirs, essentiellement autour de la gastronomie et des plaisirs de la table. J’ai été élevé avec beaucoup d’amour par ma maman et mes grands-parents. J’étais, et je suis toujours, un enfant de la campagne, je vivais dehors, entre pêche et champignons, que je ramenais pour cuisiner. Mes deux grands-pères étaient des épicuriens et je me souviens le matin au réveil de l’odeur du pain…

Vous saviez depuis tout jeune que vous seriez cuisinier ?

Dès 3 ans, à la maternelle je m’en souviendrai toujours, parce qu’on avait passé la journée à échanger et tous les copains voulaient être pompiers ou gendarmes, et moi cuisinier ou pâtissier !

Vous faisiez des expériences culinaires ?

Oui et pas toujours heureuses ! (rires) Je cuisinais des choses très simples, du lapin au vin rouge, des pâtes avec de la sauce tomate du jardin, de la mousse au chocolat que je partageais avec mon frère, parce que ma mère travaillait.

L’auberge Au bœuf à Sessenheim. / ©Dr
Quelle est votre formation ?

J’ai arrêté l’école en 3e, pour faire un CAP en alternance chez Fernand Mischler à Lembach, puis je suis parti en Bourgogne, chez Jean Crottet à l’Hostellerie Levernois
2 étoiles, puis en Suisse pour deux ans. Je devais partir en Californie, mais mon grand-père est tombé malade et ma mère m’a fait comprendre que je devais donner un coup de main. J’ai rencontré mon ex-femme, j’ai eu une fille et en fin de compte, je ne suis jamais reparti. J’aurais voulu voir encore deux-trois contrées… Je suis profondément ancré ici, mais le voyage fait partie de mes petits plaisirs.

Quand vous rentrez en 1999, saviez-vous que vous alliez prendre la suite de votre
mère ?

Non, mais au fur et à mesure on a essayé des choses et testé un peu notre clientèle. Ma mère était directrice de salle, puis elle a géré le restaurant. Nous avons eu de grosses discussions sur l’avenir de la maison, j’ai pris plus de responsabilités et la gérance de l’affaire en 2005. À la base, la cuisine était bourgeoise et soignée, en continu. Une partie de la clientèle était des habitués, des habitants, et l’autre partie germanique, pour Goethe et Frédérique Brion, car nous avons un petit musée privé. Or une des conditions pour que je reste, c’était de faire une cuisine qui me faisait vibrer. On a commencé à travailler à l’ardoise, avec des plats qui sortaient de l’ordinaire. En 2002, il y a eu la crise de la vache folle, et on a vendu moins de bœuf. La fondue bourguignonne, les tartares, les chateaubriand, et puis les tartes à l’oignon, quiches lorraines, escargots de ma grand-mère, bien qu’on soit réputé pour ça, on a décidé de les arrêter pour une carte plus gastronomique.

Des plats qui mettent des étoiles dans les papilles. / ©Dr
Quelle est votre vision de la cuisine ?

C’est une cuisine de rencontres, avec le respect des bases de la cuisine française. Je me suis très vite rendu compte que la manière dont fonctionnait la majorité des restaurants ne me convenait pas—dire à un fournisseur il me faut ça, ça et ça, alors que je suis proche d’agriculteurs et que je vois le travail fourni pour produire un légume !
J’ai donc mis en place des filières courtes, comme les agneaux à Preuschdorf, les canards à Soultz-les-Bains, les pigeons à Nordhouse… Pour la mer, je me sens proche des océans et attiré par les coquillages et les crustacés, des pêcheurs nous approvisionnent directement. Quand je suis fasciné par un produit, je fais tout pour en faire un plat.

Avez-vous un exemple de plat pour le mois de mai ?

C’est la saison des asperges, et des amis du village m’en fournissent des vertes, que je fais en croûte de pain, rôties crues, puis marinées à l’huile d’olive fruitée, servies avec un crémeux au jaune d’œuf, du caviar osciètre, de l’esturgeon fumé, des agrumes et des feuilles de Mertensia. C’est assez fort en goût, on ne s’ennuie pas quand on le mange !

En 2015, vous décrochez votre première étoile Michelin, était-elle espérée ou surprise ?

Elle est arrivée avec l’évolution de la maison, c’est une reconnaissance des clients, et on ne s’y attendait pas. Le premier guide qui nous a découverts, c’est Gault et Millau, puis Pudlo, puis Michelin. On m’a téléphoné un vendredi midi pendant le service, je pensais que c’était un ami qui me faisait une blague, j’ai raccroché (rires). Il a rappelé, et j’ai compris. L’émotion est montée, j’ai pensé à tout ce qui avait été fait ces dernières années par flash-back. Je termine le service en me posant la question cent fois si c’était vrai… Je l’ai partagé avec mes équipes tout de suite, bien que ce soit confidentiel, j’étais dans un tel état que ça se voyait ! En fait, ils avaient besoin de notre accord pour un reportage de France 2 avec Michael Ellis, le directeur du Michelin. On était sur un petit nuage, on a fait ce qu’on sait faire, ni plus ni moins. Et là, je découvre un milieu qu’on espérait toucher du doigt, il faut quelque temps pour réaliser, mais le jour où la presse en parle, c’est une horreur ! C’est un déferlement de sollicitations, on a joué au pompier pendant six mois, et puis ça se tasse et ça reste très agréable.

Pour conserver l’étoile, faut-il sans cesse se renouveler ?

Pour nous l’étoile, c’est important, une grande partie de la clientèle vient pour la maison, et il faut arriver à se renouveler sans tricher, en faisant une cuisine qui nous ressemble. Aujourd’hui avec les modes, je sais que je ne basculerai jamais dans certains types de cuisine, comme la cuisine moléculaire. Déjà jeune, j’avais du mal à me dire je vais me faire une ligne de jaune d’œuf en poudre ! (rires) Moi, c’était réussir à trouver l’authenticité de la cuisine française, en l’adaptant à ma sauce, en l’allégeant et en intégrant des produits plus rares.

Songez-vous à une deuxième étoile ?

Je vis de gros bouleversements personnels, je veux me reconcentrer sur l’essentiel en restant fidèle à ma cuisine. Je ne me lève pas le matin en pensant à une deuxième étoile.

Vous avez aussi ouvert quatre suites en 2019, quelle clientèle attirez-vous ?

La moitié vient d’un rayon de 150-200km et d’autres viennent pour la table. Nous allons ouvrir une petite terrasse cet été, entre étang et poulailler, et ajouter deux chambres supplémentaires bientôt. Les travaux ont eu lieu en 2019, et j’en ai profité pour rétablir le Stammtisch, la table d’hôte. C’est un endroit clé dans la maison, les gens du village y venaient, et moi j’y faisais mes devoirs, je déjeunais avec le personnel, et c’était fascinant ces échanges ! Je l’ai remise comme un clin d’œil à mes grands-parents. Une clientèle d’habitués y mange, ou des gens qui cherchent une cuisine un peu plus simple et bien faite, souvent lors de soirées où personne ne se connaît et à la fin du repas, tout le monde échange.

Car finalement, votre façon de fonctionner, c’est de rester accessible à tous ?

Oui, une partie de notre clientèle est aisée, mais moi à la base je suis quelqu’un de simple et j’ai envie de rester comme je suis.

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