Votre histoire est particulière, comment commence-t-elle ?
Vous êtes le premier à qui je le dis, j’ai maintenant un certain âge et je peux confier que ma maman était fille mère. Dans les années 50, elle travaillait au restaurant le Valentin-Sorg tout en haut de la tour du même nom, à Strasbourg. Elle ne pouvait pas me garder et j’ai été placé dans une famille d’accueil. Neuf ans plus tard, elle s’est mariée avec un homme qui avait une entreprise de peinture à Paris, et j’ai été vivre avec eux. Cet homme est devenu mon père adoptif, je porte son nom. Ils m’ont mis en pension, j’avais 10 ans, je ne connaissais que l’alsacien ; j’ai été mis à l’écart, on disait de moi que j’étais un « sale boche ». C’était dur, mais c’est aussi le déclencheur, car j’ai dû me forcer à apprendre le français, à essayer de cacher mon accent. Quand je suis passé chez les « grands », les choses se sont apaisées. À la sortie de la pension, j’ai appris mon métier de cuisinier. J’ai été engagé à la Closerie des Lilas, chez Drouant, au Fouquet’s, au Pavillon Royal. Comme j’étais un solitaire, la musique et les mots croisés étaient mes seules passions.
Et votre métier vous permettait de vous adonner à vos passions ?
Quand on est cuisinier, on a des horaires « biscornus », avec une coupure l’après-midi. À Paris, c’est toujours trop juste pour rentrer à la maison, alors je me mettais sur un banc et je faisais les mots croisés de Roger La Ferté dans France Soir. Puis, j’ai quitté Paris, je m’étais toujours juré de revenir en Alsace retrouver ma famille d’adoption. Avant de prendre une affaire à Niederbronn, puis l’Aventura à Mertzwiller, j’ai travaillé dans une pizzeria à Haguenau pendant 8 ans et en même temps je me suis intéressé au Scrabble. C’est pour cela que dans mes grilles, il a y des mots très bizarres, car j’adore jongler avec les lettres.
Et vous avez relevé des défis incroyables. Vous avez fabriqué une grille de 62500 cases. On a dit qu’elle était unique au monde,
c’est exact ?
Ce n’est pas la plus grande grille du monde, avec un ordinateur on peut faire une grille à 300 000 mots ou plus, mais c’est la plus grande jamais imprimée. En fait, à force de faire des mots croisés, j’avais fini par trop bien connaître les auteurs (ils se répétaient souvent), alors j’ai créé cette grande grille et j’ai tenu à faire reconnaître mon travail : elle comporte plus de 18 000 mots, mais 17 000 différents, ce qui donne une idée de sa richesse et de sa complexité.
Je me suis battu pour éviter les répétitions. C’est toute une alchimie, une gymnastique de l’esprit pour essayer de faire le plus original possible. Tous les médias sont venus me voir, les télévisions, les radios, même France Dimanche et Détective, même Mickey. J’ai organisé quatre championnats du monde et cinq championnats de France de mots croisés, ils ont très bien marché, avec plusieurs centaines de participants à chaque fois. Puis, je suis passé à autre chose.
Sans regret ?
J’ai fait des dossiers pour les différents ministres de la Culture, pendant plusieurs années. Cela peut paraître vaniteux, mais je voulais offrir la culture au public. Je suis toujours en colère parce que j’ai repris tous les mots, je les ai classés par catégorie, avec des photos et des explications, mais je n’ai jamais eu de réponse.