Papa adorait faire des blagues, c’est comme cela que j’ai appris le mot facétieux. Surtout le 1er avril ! Il annonçait à ses collègues du lycée qu’aujourd’hui il remplaçait le directeur. Ou bien il demandait à notre voisin, monsieur Ohlmann, qui avait une Dauphine, s’il valait mieux qu’il achète une ID 19 ou une DS 21. Il annonçait qu’il supprimait l’argent de poche ou qu’on partait ce week-end en vacances à la mer, que Maman aurait un Solex pour la fête des mères et que les garçons, on pourrait rouler avec le dimanche.
Si le 1er avril était un dimanche, il laissait des exemplaires du Canard enchaîné sur les bancs de l’église. Il nous réveillait à 6 heures du matin pour aller à l’école ; au repas de midi, on prenait un petit déjeuner. Mais c’est surtout à ses élèves qu’il faisait des blagues, et il a continué jusqu’à sa retraite. Il racontait que Napoléon s’était arrêté à Haguenau pour manger dans une auberge à son retour de la retraite de Russie. C’était sur le chemin de Paris. Il donnait la plus mauvaise note au meilleur élève en rendant les copies. Il fallait rester dans la cour de récréation pour la leçon de géographie, parce que les ouvriers repeignaient les murs de la classe.
Mes poissons d’avril étaient souvent dramatiques : j’ai cassé mes lunettes, j’ai un zéro en rédaction, je disparais toute la journée pendant un camp scout… Et puis une blague un peu cracra : il était absolument interdit de lire aux cabinets, il y avait toujours un suivant qui attendait. Je traîne, je traîne, ça dure. Une petite sœur pleurniche et me dénonce ; je finis par sortir, le pantalon sur les talons et un long morceau de papier toilette bien maculé de brun brandi sous le nez de tous… caca, beurk, beurk ! C’était un morceau de chocolat fondu, miam miam ! Poisson d’avril !
Ambroise Perrin