samedi 23 novembre 2024
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On Ruffet le match #30 – Drôle de phénomène

C’est marrant ces expressions toutes faites qu’on se refile les uns les autres. Je ne parle pas forcément entre journalistes, mais d’une manière générale. Des mots qui apparaissent, et qui deviennent la norme pour désigner quelque chose ou quelqu’un. Et si on tend bien l’oreille, on se rend compte qu’il y a beaucoup de phénomènes.

Le double sens est amusant. Vous serez d’accord pour dire que dans le village, quand on entend « ah celui-là, c’est un phénomène ! », ce n’est pas toujours pour exprimer une franche admiration. Plus pour marquer un caractère et des actes que l’on qualifiera d’étonnants.

Dans le sport, en revanche, un phénomène, c’est très élogieux. Et on le garde pour de jeunes athlètes qui semblent sortis de nulle part et qui sont déjà à des niveaux… phénoménaux. Mbappé, Haaland, Alcaraz, Wembanyama, Pogacar… Tous ont été, à un moment, qualifiés de phénomènes. Ce qui est curieux, c’est quand on considère qu’ils ont un impact fort sur leur sport, à ce moment, mais sans préjuger de l’ensemble de leurs carrières respectives à venir.

Aujourd’hui, on n’utilise pas ce qualificatif quand on parle de Maradona, Federer ou Jonah Lomu. On sent que pour accéder à l’étage supérieur, celui de la légende, il faut être plus qu’un phénomène, il faut dépasser ce statut.

Phénomène, jusqu’à quand ?

Quand on parle de phénomène naturel, il n’y a pourtant pas de date de péremption. Il n’y a pas de limite dans le temps. Il y a même une forme de récurrence. Les marées sont un phénomène naturel. Les aurores boréales sont des phénomènes naturels. Dans ce sens, on pourrait donc estimer que Nadal, à Roland Garros, c’est un phénomène.
Les linguistes me rappelleront alors que la racine du verbe, en grec, signifie « faire paraître, rendre visible ». Donc on y est bien. Un jeune talent qui se fait connaître, c’est donc bien un phénomène.

Nous voilà donc pris entre deux feux. Deux espaces de temporalité distincts : la révélation de l’instant, mais aussi sa récurrence. Ajouté à cela que le phénomène concerne absolument toute la société – le « phénomène » Tik-Tok, le « phénomène » Quoicoubeh, le « phénomène » Pokemon – on se retrouve dans une surutilisation d’un terme qui doit pourtant définir l’exceptionnel, ou le rare. Si tout devient exceptionnel, comment encore s’extasier ?

Peut-être qu’on peut tout simplement attendre de voir ce que vont donner les jeunes talents. Leur laisser deux, trois ans, pour démontrer leur persistance et leur impact. Comme une marée qui déferlerait chaque week-end sur ses adversaires.

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