La tourte aux pommes de terre ne figurait pas sur la carte de son restaurant chic new-yorkais. Le Lutèce, mais André la préparait pour ses amis et ses clients les plus fidèles, parmi lesquels trois présidents américains : Nixon, Kennedy et Carter, tout comme Katharine Hepburn, Frank Sinatra, John Lennon et Paul Newman. Ce premier chef américain à être médiatisé figure dans mon livre À la table de Simone, qui fait découvrir la recette préférée de cinquante personnalités alsaciennes. André Soltner savait d’emblée avec quelle recette il souhaitait y apparaître. « De ce plat que ma mère nous faisait », disait-il. « J’ai gardé le goût, dans ma bouche et dans ma tête, toute ma vie. C’est un plat paysan que maman préparait quand nous avions très faim. Je crois qu’elle tenait cette recette de sa grand-mère. J’en suis tellement fier que j’en ai toujours fait pour mes amis et mes meilleurs clients à New York. Quand j’étais petit, je trouvais que cette tourte n’était jamais assez grande. Mais, quand j’avais du mal à terminer l’assiette, Maman me disait : Force-toi un peu et ensuite, cours jusqu’au haut du château de l’Engelbourg, à l’Œil de la Sorcière».
Dès ses débuts dans les années 60 au restaurant Lutèce, André Soltner fut apprécié par Julia Child, la reine des émissions culinaires aux États-Unis, pionnière pour faire découvrir la cuisine française et les recettes régionales. Ainsi André démontrait-il dans les émissions comment réussir la tarte flambée, le Baeckeoffe et autres spécialités alsaciennes. Jean-Marc Fullsack de Wissembourg, qui enseigne à l’université de San Francisco, a travaillé durant deux ans comme cuisinier chez André Soltner, un patron qu’il qualifie d’exceptionnel au vu de son humanité et de sa gentillesse. Il se souvient que les plats les plus populaires de sa carte étaient le saumon en croûte et le filet de bœuf en brioche. « Parmi les clients du Lutèce qui m’ont le plus marqué, il y avait Jaqueline Kennedy. Elle était très intéressée par la cuisine française et aimait parler en français. Elle voulait savoir comment les plats étaient faits. Son dessert préféré était le soufflé glacé aux framboises ».
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André Soltner était aussi devenu un ambassadeur des vins d’Alsace en Amérique. Lorsqu’il a appris que le vignoble du Rangen, son lieu d’enfance, serait sauvé de son déclin par la municipalité et quelques viticulteurs, il a informé Léonard Humbrecht combien cela le touchait. Le viticulteur établi à Turckheim, l’un des pionniers des « Grands crus d’Alsace », fut le premier à prendre conscience dans les années 80 de la valeur enfouie dans le Rangen et de l’urgence de le faire renaître notamment en reconstituant les murets de pierre.
Avec la relation d’amitié qui s’est établie entre les deux hommes, André Soltner a fait découvrir le vin d’Alsace à New York et aux USA. « Grâce à lui, dit Olivier Humbrecht qui dirige la Maison Zind-Humbrecht, nous avons eu un premier importateur sur la côte Est de notre vin. C’était en 1979. Soltner adorait le pinot gris. Il l’a fait découvrir à Nixon, qui l’a adoré à son tour ».
Léonard Humbecht a dédié à André Soltner une parcelle de pinot gris, avec une borne en grès sculptée située au début de la parcelle. Celle-ci fut inaugurée en présence d’André Soltner le 12 août 1988. De nombreux chefs alsaciens ont assisté à cette journée qui leur fit gravir les 165 marches qui permettent d’accéder à la « parcelle André Soltner ». Hubert Maetz, le chef du Rosenmeer, alors âgé de 27 ans, en faisait partie et il se souvient d’une journée mémorable. Ce jour-là, le drapeau américain a flotté sur le Rangen. Et André Soltner a lu aux convives une lettre que Richard Nixon lui avait écrite et qui vantait les qualités de la cuisine d’André Soltner et du vin du Rangen. Montaigne ne s’y était pas trompé : en s’arrêtant à Thann en 1580, il fit déjà l’éloge de ce vin qui mûrit sur le côteau le plus méridional du vignoble alsacien et qui produit un des meilleurs vins du monde.
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La tourte aux pommes de terre
Ingrédients pour 6 pers. :
300 g de pâte brisée
250 g de pâte feuilletée
700 g de pommes de terre épluchées
60 g de persil haché
150 g de lard fumé coupé en lardons fins
12 cl de crème fraîche
5 œufs durs écalés et coupés en rondelles
sel, poivre
1 œuf pour la dorure
1| Beurrez et foncez un moule à tarte avec la pâte brisée. Coupez les pommes de terre épluchées en rondelles de 2 à 3 mm d’épaisseur, lavez-les, égouttez-les et séchez-les sur un torchon. Mélangez les pommes de terre avec le persil haché, salez et poivrez. Faites sauter les lardons dans une sauteuse pendant 2 à 3 min puis égouttez-les.
2| Dans le moule à tarte foncé de pâte, disposez la moitié des pommes de terre. Sur cette couche, étalez les lardons, puis une couche de rondelles d’œufs durs. Couvrez avec la crème fraîche. Terminez avec une dernière couche de pommes de terre.
3| Recouvrez d’une abaisse de pâte feuilletée soudée à l’eau à la pression des doigts sur le rebord de la pâte. Avec un pinceau, appliquez l’œuf battu. Piquez avec la pointe d’un couteau pour l’évacuation de la vapeur. Laissez reposer au frais pendant au moins 1/2 h. Faites cuire à four moyen (thermostat 6 – 180°) pendant 1 h et 15 min. Servez chaud avec une salade verte.