Avez-vous un souvenir à la poterie, dans les pas de votre père ?
J’étais celui qui touchait à tout, j’éteignais les fours quand ils cuisaient, je tournais les robinets, je marchais sur les bassines, parfois je tombais dedans ! J’étais toujours très près de mon père, ou de la poterie, en immersion totale. Mais je suis parti en internat à l’école de céramique de Longchamp, près de Dijon, à 17 ans. Je ne voulais pas apprendre chez les parents, j’ai fait mes preuves. Je suis modeleur de profession, je crée les moules, les mères de moules, les processus, céramiste c’est mon premier métier.
Quand avez-vous pris le relais dans l’entreprise familiale ?
En 1999, je suis devenu gérant de la société, mais je suis dans l’entreprise depuis l’âge de 22 ans, après l’armée. Pour moi, le métier n’était pas séduisant, il fallait que ça bouge, mettre des couleurs… Dans le temps, on faisait les basiques, plats, caquelons, baeckeofe, ce n’était pas très sexy… Alors la première pièce que j’ai créée à l’époque était un peu révolutionnaire, c’était un moule à soufflé : à l’intérieur, il était rond et à l’extérieur octogonal. Et mes concurrents l’ont tout de suite copié !
Rendez-vous compte, un petit jeune qui sort de l’école, d’abord j’étais un peu vexé, mais finalement fier. Côté innovation, on n’avait jamais vu deux formes différentes dans une seule, avec les contraintes techniques des épaisseurs… J’ai encore la forme à la maison, je vais bientôt la rééditer, comme un clin d’œil.

Quelle est l’évolution de la poterie depuis 1999 ?
En vingt ans, les matières premières ont évolué, les émaux, les fours. On a multiplié par 10 ou 20 les formes, les couleurs—on en avait trois, aujourd’hui une vingtaine, et un décor phare, la marguerite, aujourd’hui une trentaine de décors différents, ou des gammes enfant avec soixante décors ! On a aussi pris une nouvelle identité, il y a cinq ans, en fabriquant des balconnières. Maxime Frick m’a demandé de prendre la relève, mais c’était monstrueux, une autre argile, une autre température, une autre organisation ! Il me convainc, car si on ne le fait pas, il y a tout un savoir-faire qui disparaît. Et je parle de moules exceptionnels, un savoir-faire à ne pas laisser tomber ! Elles ont des motifs, les décoratrices se lâchent, elles ont fait des Mannele en maillot de bain, lunettes de soleil, cocktail (rires)… On fabrique aussi la dalle à tarte flambée, avec la Flammekuch Koumpanie, qui d’autre qu’un Alsacien pour faire ça, on ne pouvait pas la laisser importer !
Justement, vous êtes le président de l’Association des potiers d’Alsace depuis sa création en 2008. Que défendez-vous ?
L’association a été créée pour qu’un collectif donne un nouveau souffle à la poterie, au moment des crises. Le fait de se mettre ensemble a permis de réfléchir à quoi apporter, par exemple travailler avec des designers. C’était l’objectif principal, dans le but de recréer de l’emploi. Nous sommes actuellement onze adhérents, dont dix ont l’indication géographique, et un tout nouveau, de Sessenheim, M. Schuster, qui a demandé l’homologation pour l’IG.
Quelle est la plus-value de l’IGPIA (Indication géographique protégeant les produits industriels et artisanaux) obtenue en 2022 ?
Elle garantit vraiment l’origine de fabrication sur une zone géographique allant de Bischwiller au nord de l’Alsace, soit 97 communes concernées par cette IG. Elle répond à un cahier des charges aussi et on constate, sur les marchés de Noël par exemple, que les gens retournent les produits pour voir le tampon et si non, ils repartent. On est plus attentifs, plus sur le terrain, et les gens font plus attention au local, il y a une très grande prise de conscience. S’ils veulent que les entreprises restent ici, il faut consommer local, surtout quand on voit l’actualité ! L’Alsacien doit être fier, je ne veux pas être chauvin, mais c’est ça qui nous fait vivre.

Quelle est la part de touristes et d’Alsaciens dans votre clientèle ?
La part touriste a beaucoup progressé, et les Alsaciens ne veulent pas le traditionnel, uniquement les nouveautés. Le touriste veut la cigogne, la fleur, les incontournables. Je pense qu’on est à 20% de locaux, mais on vend aussi beaucoup dans les magasins de souvenirs, ou dans la restauration, les étoilés… Pour la maison Marc Haeberlin par exemple, on crée les boîtes à foie gras sur mesure avec des artistes. C’est aussi pour ça qu’on fait plusieurs métiers différents, les collectivités, les jardineries, la restauration. La boutique ne représente que 10%, mais il faut avoir le lieu, la vitrine et pour rassurer sur le fait que c’est fabriqué localement.
Qu’en est-il de la relève, les jeunes se lancent-ils dans la poterie ?
Mon fils Paul vient d’arriver, il y a trois ans, il a fait l’école de Longchamp également, et maintenant il prend le relais doucement. Il a 26 ans, il s’occupe d’internet, c’est un peu le monsieur à tout faire, dans l’argile aussi, toutes ces choses importantes où il faut une personne de compétence. Nous avons aussi une jeune de 19 ans, elle a voulu partir, et finalement, elle reste parce qu’elle se dit que ce serait une bêtise !
L’avenir de la poterie d’Alsace est-il assuré ?
Rien n’est jamais assuré, je reste toujours prudent, tout est compliqué. Mais en tout cas on peut regarder vers l’avenir, et c’est intéressant.
Visite de la poterie les mardis et jeudis à 10h à partir du 22 juillet et en août, inscription à l’OT.
Un gobelet pour boire à la santé des potiers
Les potiers d’Alsace ont officiellement lancé leur collection de gobelets 2025 à la Maison du Pays rhénan à Drusenheim, en vente uniquement dans les boutiques des neuf participants :
Céramiques Schuster à Sessenheim, Poterie Fortuné Schmitter à Betschdorf, et dans les poteries Beck, Graessel, Hausswirth, Lehmann, Siegfried-Burger, Streissel, et Wehrling à Soufflenheim. Chaque artisan a confectionné cinquante pièces en édition limitée, « on souhaiterait que ça soit une fois par an, sur le modèle de Meisenthal, pour que les collectionneurs les acquièrent, glisse Pierre Siegfried. C’est important que les potiers aient de la reconnaissance et qu’on donne un sens à leur travail ». Le principe est simple : « Une forme, un thème—les fleurs—et une interprétation individuelle », selon Christine Jaouen-Bohy, la directrice de l’Office de tourisme du Pays rhénan, à l’origine de l’idée. « Cela renforce notre positionnement nature, avec un gobelet durable aux couleurs de l’été. » L’OT Alsace verte, Alsace Destination Tourisme et la CeA, représentée par Laurence Muller-Braun, sont partenaires : « C’est un objet qui va se transmettre, comme une revanche qui se prépare sur la Chine et la Suède », sourit cette dernière.