Christophe Felder – La recette qui fait sourire

De Benfeld, où il est né en 1965 avant de grandir à Schirmeck dans la boulangerie-pâtisserie de ses parents, jusqu’aux cuisines du Crillon, le palace où il est resté quinze ans chef pâtissier à Paris, Christophe Felder s’est forgé une solide réputation, tout en restant simple. Il exprime son savoir-faire dans ses livres, son entreprise de conseil au Japon et dans sa boutique Les pÂtissiers à Mutzig. Avec un grand A pour rappeler la tour Eiffel, mais surtout avec un sourire majuscule à partager avec Maxi Flash, pendant deux heures autour d’un café et de beignets orange-passion-mangue.

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Avez-vous fait vos gammes dans la boulangerie-pâtisserie familiale ?

Non pas du tout, à cet âge-là, je préférais aller jouer au foot avec les copains, mais maman exigeait que le mercredi, j’aide au magasin. Quand on grandit dans une boulangerie, il y a déjà des gâteaux, alors je n’aurais pas osé en faire, et j’allais en cachette en piquer au magasin. À la fête des mères, à 6 ans, j’ai arraché un morceau d’une trentaine de cœurs aux fraises pour goûter. J’avais des parents gentils, ils se sont débrouillés pour rattraper…(sourire)

À quoi ressemblait votre enfance ?

J’ai grandi d’abord à Natzwiller chez ma grand-mère pendant que mes parents bossaient, puis je suis allé à l’école à Schirmeck, je faisais du sport, basket, foot, et j’ai rencontré mes amis d’enfance, Eric, Antonio et quelques-uns comme ça. On s’était dit petits qu’on ferait une société ensemble, ça s’est fait dans l’hôtellerie, à Strasbourg l’hôtel Kléber et Le Gouverneur à Obernai, et on s’appelle deux-trois fois par semaine. Il y avait un pâtissier arrivé chez mes parents à 19 ans, Jacky, il en est parti à la retraite, et j’étais toujours derrière, je me cachais dans des cartons avec un pistolet à eau, lui était patient et m’a donné envie de faire de la pâtisserie. Mon père voulait que je fasse des études, avocat ou politique, pour moi pâtissier c’était cool, mais pas évident, car le métier était dévalorisé.

Vous partez à 15 ans en apprentissage à Strasbourg, que reste-t-il de vos années chez Litzler-Vogel ?

C’était une formation incroyable, stricte et dans les règles de l’art, tout à la main, la pâte d’amandes, le praliné, les nappages… Je n’ai jamais revu ça ailleurs, je suis sorti de là, j’étais blindé. Ce n’était pas facile au début, mais Mme Litzler a été comme une deuxième maman, ça m’a construit et donné de la force pour toujours. Moi je voulais faire comme j’avais envie et être indépendant, j’étais respectueux, mais je gardais une distance, ça m’a aidé, j’avais du caractère.

La boutique et salon de thé Les pÂtissiers à Mutzig. / ©sb
Et la passion du métier aide aussi ?

On n’est pas obligatoirement passionné dès le début. J’aimais la pâtisserie, mais j’aimais avant tout la manger ! Moi j’étais passionné par jouer au basket ! Il faut équilibrer, le métier permet de gagner sa vie, c’est un ensemble de choses. Si la passion est là tant mieux, mais je suis pour normaliser les choses. Les gens ici aiment leur métier, mais aussi leur vie de famille et faire les cons, du sport… Quelqu’un qui ne parle que de son métier, moi ça me fatigue ! (rires)

Votre formation passe également par Metz chez Claude Bourguignon, comme Frédéric Bau, Gilles Marchal ou le champion du monde Angelo Musa…

Bourguignon avait la classe, c’était un poète, il me disait « vous comprendrez quand vous partirez ». Il m’a montré un sculpteur qui avait la foi : autant la passion englobe un peu tout, autant la foi, on a envie de bien faire, que le résultat soit bon. Un autre truc qu’il m’a appris, c’est 8h de travail, 8h de loisirs, 8h de sommeil. Ceux qui sont passés par lui ont été métamorphosés.

En 1989, à 24 ans, vous êtes nommé plus jeune chef pâtissier au Crillon. Au milieu de grands noms de la cuisine, Constant, Fréchon, Piège, Camdeborde, le côté pâtisserie était moins mis en valeur…

Oui, mais ça ne me dérangeait pas ! À l’époque, les palaces étaient un peu à la dèche, les chariots de desserts c’était encore les années 70. Christian Constant était très humain, son équipe était plus importante que la gloriole, je le compare à un entraîneur, Didier Deschamps, je me suis tout de suite senti bien. Nous n’étions pas dans la démarche de révolutionner la pâtisserie, juste que ce soit bien. Tout était frais avec de bons produits, c’est pas compliqué ! Étonnamment avant qu’on arrive, ce n’était pas régulier, le personnel ne restait pas, on a mis deux ans pour stabiliser, mettre du rire, et les choses sont venues naturellement. On a été vite connu, moi je ne répondais pas trop aux interviews, comme ça j’étais tranquille. Au bout de quatre ans, je voulais déjà partir, Constant m’a dit non. J’ai fait des formations pour être autonome, et je suis resté quinze ans.

Les premiers livres et votre société de conseil Dessert attitude arrivent en même temps, en 2005 ?

Le premier livre en 2002, puis Les leçons de pâtisserie en 2005 et le fameux livre rose en 2011. Je consacre beaucoup de temps à écrire des recettes, mais je ne le ferai pas encore des années… J’avais une tante à Natzwiller qui m’a dit, « si tu fais un livre j’espère que les recettes vont marcher » (rires). Ça m’a mis un coup de pression ! Une phrase de quelqu’un que vous aimez bien, ça joue ! Donc dès le début, je n’ai pas fait compliqué, et ça a fonctionné.

Vous avez touché un peu à tout, les livres, la presse, la télé, c’est un besoin de partage ?

J’ai toujours beaucoup partagé, et j’ai eu la chance de tomber sur des gens qui partagent. Avant c’était un métier caché, et ça a changé. C’est une erreur de ne pas partager les recettes, parce que dix professionnels font la même et vous aurez dix goûts différents comme pour les plats de grand-mère. C’est le partage, mais surtout la qualité simple, c’est-à-dire que de temps en temps on va chez le professionnel, mais à la maison, avec les enfants, ou pour vingt personnes parce que ça coûte cher, on le fait soi-même, c’est souvent bon et ça n’a pas besoin d’être une œuvre d’art !

Vous reprenez cette boutique en 2012, pourquoi avoir choisi Mutzig ?

Dans ma tête, j’ai toujours voulu avoir une petite pâtisserie et ne pas en être dépendant financièrement. Donc j’ai les hôtels, ma société de conseil et je suis ambassadeur de la marque Président. Comme la nature me manquait, j’aimais bien la région, mes amis d’enfance, ma vie était là, j’en ai parlé avec Camille, il a choisi de venir avec moi. Les pâtissiers parisiens qui viennent à Mutzig disent qu’on est bien ici, voilà pourquoi !

Christophe donne aussi son avis sur des gâteaux de concours. / ©SB
Vous vouvoyez toujours Camille Lesecq alors que vous l’avez connu à 18 ans au Crillon ?

Des fois je le tutoie pour rigoler, mais “vous” dans le travail, ça permet de garder un respect naturel. Chacun fait comme il veut, mais on est pareil, des vies parallèles, et le côté familial, c’est le cadre, le plus important. On ne parle jamais d’argent, que du produit, et du plaisir de faire. On forme un binôme comme il y en a d’autres, on est toujours aussi heureux et avec le sourire. On ne cherche pas spécialement à développer, on va voir à Strasbourg, à Obernai, et on ne fait pas pour le monde médiatique.

Au contraire, vous avez mis cinq ans pour afficher le nom Les pÂtissiers. Vous prenez votre temps…

On a repris 100 ans après la première ouverture, il y avait une culture dans ce magasin, une âme. Je me suis dit on va essayer de faire aussi bien que Jean-Pierre Oppé pour commencer, et je n’ai pas eu la prétention de tout enlever et mettre nos noms. D’ailleurs l’enseigne en cuivre n’a jamais été posée ! Il faut se faire adopter dans les villages, c’est un peu comme un couple, il faut laisser le temps, faire attention, ne pas forcer. On est un peu des sentimentaux avec Camille, des romantiques, on a certaines valeurs, ce côté convivial aussi. J’aime bien, mais les grands chefs me disent cachottier, un peu en retrait et ça peut passer pour une forme de prétention. En fait, j’ai surtout peur de m’égarer, d’être dans trop de trucs et le plus important, c’est ma vie privée.

On a l’impression que vous survolez un peu tout ça, mais il y a un vrai résultat.

Tout me fait un peu marrer, un grand chef m’a dit « on ne sait pas si tu es sérieux ou pas », j’ai répondu que je ne le sais pas moi-même. C’est peut-être une forme de protection ou de pudeur ? J’aime quand même l’échange, et c’est moi qui ai toujours le mot pour rire, et à force je suis devenu Président, comme papa le voulait ! Un petit beignet ?