Huit victimes de violences sur dix ne portent pas plainte

138 féminicides ont été commis depuis le début de l’année, le chiffre est en augmentation. La Ministre de la Justice Nicole Belloubet a estimé que pour protéger les femmes, le système actuel ne fonctionnait pas et que c’était un drame. Une femme sur trois dans le monde subit des violences au cours de sa vie. Constat alarmant alors que sur le terrain, des hommes et des femmes font tout pour informer et protéger les victimes.

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Le temps du dialogue, avec Sophie-Anne Dirringer

La journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre était axée sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, une journée proposée par l’ONU sur l’ensemble de la planète. Dans le même temps pour conclure le Grenelle contre les violences conjugales, le Premier ministre a annoncé plusieurs mesures : le 3919 joignable 24h sur 24 et 7 jours sur 7, l’aménagement du secret médical, prise en charge des auteurs de violences conjugales, formation des enseignants, une grille d’évaluation des dangers, plus d’intervenants sociaux dans les commissariats, le déploiement du téléphone grand danger et du bracelet anti-rapprochement, une quarantaine de mesures qui n’ont pas toujours convaincu les associations féministes.

Le temps du dialogue de Maxi Flash est consacré à Sophie-Anne Dirringer, déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité. Son rôle est de mettre en œuvre les politiques publiques de l’égalité entre les femmes et les hommes, d’identifier les manques sur le territoire. Pour cela, elle travaille notamment avec le Centre d’Informations sur les Droits des Femmes et des Familles et délègue des crédits pour faire des permanences d’accès au droit, comme à Haguenau ou à Bischwiller par exemple, et ainsi réduire les violences physiques, psychologiques, économiques et sexuelles, les quatre formes de violences que l’on retrouve dans les situations de violence conjugale.

Pour commencer, combien de femmes ont été victimes de violences dans le Bas-Rhin en 2018 ?

D’après les chiffres, depuis 2018, 1987 femmes ont été victimes de violences sur le département. Ces femmes ont alerté les services de police et de gendarmerie, mais on estime que ce chiffre ne représente que 20 % des femmes victimes de violences. Huit femmes sur dix ne portent pas plainte, deux sur dix en parlent ou envoient une lettre au procureur. Nous pouvons considérer que sur le Bas-Rhin cela représente 10 000 femmes, c’est la statistique la plus élevée dans le Grand Est. Depuis le phénomène #MeToo et BalanceTonPorc, les violences n’ont peut-être pas augmenté, c’est le taux de révélation qui a augmenté. Il semble que c’est un petit peu plus facile de dire les choses aujourd’hui.

Oui, mais seulement deux femmes sur dix portent plainte, vous l’avez dit, c’est très peu !

Oui. Tout notre travail est axé là-dessus. Depuis le 1er janvier, en France, au moment où nous enregistrons cette conversation, nous en sommes à 137 féminicides. En 2018 ce chiffre était de 121. Le passage à l’acte augmente. J’ai échangé récemment avec quelqu’un de la gendarmerie qui suit des victimes et qui rencontre des auteurs, elle me racontait que l’on ne peut pas savoir si quelqu’un va passer à l’acte, que c’est imprévisible. On ne sait pas exactement pourquoi il y a passage à l’acte, mais nous savons que dans un tiers des cas, le crime est commis au moment de la séparation. C’est un moment dangereux pour les femmes. Les associations qui les accompagnent essayent de les préparer.

Quelles sont les situations de danger justement ?

Au moment où elles vont dire « c’est fini, j’arrête », au bout de vingt ans, dix ans et même trois ans de violence, je l’ai dit, mais il existe d’autres moments dangereux. Quand il n’y a pas eu de décès, l’auteur de l’acte a été condamné, il est en détention pour tentative de meurtre ou pour coups et blessures, il reste en prison six mois, un an ou deux ans, ou dans les quinze ans si c’est vraiment très grave : certains travaillent sur la question, admettent que ce qu’ils ont fait n’est pas normal, mais d’autres restent dans le déni. Pendant le temps de la détention, ils vont se dire que ce n’est pas de leur faute, qu’ils n’ont rien fait, et donc, un autre moment dangereux est la sortie de prison. Il y a aussi le moment de l’annonce de la grossesse, c’est difficile à expliquer, des psychologues travaillent là-dessus. Sur les 121 femmes tuées en 2018, cinq étaient enceintes.

C’est glaçant !

Notre travail est de décliner les Grenelles sur le département ou, lors de vingt et un ateliers, nous avons récemment parlé des victimes, des auteurs, des enfants, de la formation des professionnels, de la prévention des violences et de la mise à l’abri.

Comment détecter les situations très dangereuses ?

Il y a une expertise pour savoir si une femme est sous emprise ou pas, si elle est apte à se protéger, à protéger ses enfants, si elle s’en sort économiquement, si elle peut partir, et en même temps il y a une expertise de l’auteur des violences. S’il est dangereux, il y a une prise en charge, avec le téléphone «Très Grand Danger», c’est une espèce de bulle que l’on met autour des victimes vraiment en danger. C’est un téléphone spécifique, avec une touche spéciale sur laquelle elles peuvent appuyer, en lien avec une plate-forme de la police ou de la gendarmerie, on sait tout de suite qui appelle et cela devient une priorité absolue. Sur le département, vingt-deux femmes possèdent un appareil. Il y a aussi prochainement la mise en place de bracelets anti-rapprochement. Les deux dispositifs seront couplés pour des situations de grande dangerosité.

En 2018, malheureusement, une femme est morte malgré le déclenchement de son téléphone « Très Grand Danger », mais trois vies ont été sauvées. Le gouvernement a annoncé plus de moyens pour ces dispositifs, comme pour la formation des professionnels. Nous travaillons beaucoup sur la formation des professionnels qui reçoivent les victimes, les travailleurs sociaux, les médecins, les éducateurs, les gendarmes et les policiers. C’est suite au comptage morbide de victimes de féminicides (une première en France), que les travaux du Grenelle des violences conjugales ont été engagés. Nous avons prévu de travailler avec ceux qui sont en première ligne, comme les agents d’accueil des bailleurs sociaux, ceux qui travaillent à la CAF ou les dentistes, pour leur apprendre à repérer les signes de violence et le questionnement systématique. Par exemple, les médecins questionnent maintenant systématiquement les patientes un peu perdues, qui ne dorment pas, qui demandent des arrêts de travail.

Les violences faites aux femmes ne concernent pas seulement les violences à l’intérieur du couple ?

Elles concernent toutes les formes de violence que toutes les femmes subissent parce qu’elles sont femmes : le viol, le harcèlement sexuel, le harcèlement au travail, les mariages forcés, la polygamie, ou encore la prostitution.