mercredi 27 novembre 2024
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Je suis allée aux fraises

Les fraises sont une réjouissance de mai qui se prolonge jusqu’en juillet, parfois jusqu’à l’automne, selon que la variété soit hâtive, tardive ou remontante. Que de saveurs contenues sous cette peau rouge écarlate pointillée de petites graines croquantes !

n aimant les fraises, je sais que j’ai un point commun avec Louis XIV, qui peut se targuer d’avoir fait venir les fraises en France, grâce à Jean-Baptiste de La Quintinie, «Directeur de tous les jardins fruitiers et potagers du Roi», qui lui en implanta à Versailles et qui lui permit même, grâce aux serres, de savourer des fraises dès le mois de mars.

La joie que procurent les fraises commence déjà avec leurs fleurs, dont les pistils jaunes et les pétales blancs arrivent autour de Pâques et en portent les couleurs. Lorsque les fraisiers fleurissent, les fruits seront mûrs cinq ou six semaines plus tard, selon la douceur des températures et l’ensoleillement. Les amateurs de jardinage le savent : une plate-bande de fraises ne donne de réjouissance que quelques semaines à peine. Et le reste du temps, pendant une dizaine de mois infertiles, il faudra s’en occuper, du moins ne pas laisser les mauvaises herbes envahir la plate-bande. Et puis, sitôt la récolte terminée, les fraisiers produisent des stolons. Ce sont des cordons sans feuille qui partent de la base du pied mère et qui courent au niveau du sol pour donner naissance à des bébés fraisiers. Il vaut mieux les sectionner, car ces stolons prennent l’énergie à la plante mère.

Les fraises aiment être mariées à la menthe, nappées d’un sirop léger infusé de menthe, éventuellement parfumé au kirsch, et parsemées avant dégustation de feuilles ciselées de menthe fraîche. Les fraises aiment aussi les fleurs de sureau. C’est Hubert Maetz, le chef du Rosenmeer à Rosheim, qui me l’a récemment démontré en posant les fraises sur un fond de crème brûlée, surmontées de rhubarbe en compote et de streusel. Il a disposé quelques fleurs de sureau sur ce dessert, une feuille de menthe ainsi qu’une boule de glace, parfumée à la fleur de sureau comme de bien entendu. (Une glace vanille ou une glace yaourt fera très bien l’affaire). Associer fraises et omelette sucrée est une idée inattendue qui me fut révélée par Hubert Keller, chef célèbre aux États-Unis, notamment par son restaurant Fleur de Lys à San Francisco. Il a grandi à Ribeauvillé où ses parents tenaient une pâtisserie, reprise ensuite par son frère. Lorsque leurs parents étaient de sortie à la saison des fraises, les deux frères savaient que leur grand-mère, Eugénie, leur préparerait une omelette aux fraises. Hubert Keller refait souvent en Californie ce dessert d’enfance qui lui porta chance en amour : lorsqu’il le servit à Chantal, de Gunsbach, elle fut séduite et l’épousa.

Fraisier surmonté de pâte d’amandes à la pistache réalisé par Michel Fischer. / ©Muriel Fischer

Tout aussi heureux sont les mariages de la fraise avec la rhubarbe. En cette saison des fraises, pensez aussi aux desserts les plus connus : le fameux fraisier recouvert de pâte d’amande verte ou rose, les charlottes et les bavarois, les glaces et les sorbets aux fraises. N’oublions pas d’associer les fraises au salé, dans des salades, par exemple avec une laitue et du basilic, relevées avec du poivre vert. La fraise se marie aussi avec les haricots, l’oignon, le poireau, la bourrache, de l’épinard, la ciboulette, le thym, le radis, la carotte et la sauge. Brigitte Moog, présidente du Groupement du Théâtre du Rhin, m’a donné une recette de chutney, préparé avec des fraises relevées au raifort. Cette sauce aigre-douce accompagne à merveille poissons, viandes, fromages, terrines et foies gras. Parfois les fraises sortent du rang et, à l’image de notre civilisation et du climat, semblent perdre le nord. L’an dernier elles m’ont surprise en démarrant un fleurissement en… octobre pour donner des fruits verts en décembre. J’avais envie de leur crier : dans quelle galère vous êtes-vous mises pour fleurir ainsi à contretemps ? Espéraient-elles mûrir sous le soleil froid et rare de l’hiver alsacien ? Le givre est venu les enrober et ce fut un tableau qui reste tenace dans ma mémoire.

La langue française comporte l’expression « aller aux fraises » qui a deux sens. Pour certains, elle signifie porter des pantalons trop courts (Hòch Wàsser hàn, comme on dit en alsacien). Pour d’autres, « aller aux fraises » signifie s’isoler dans un endroit reculé et difficilement repérable pour y conter fleurette, voire commettre l’adultère. Et puis, dans l’expression « ramener sa fraise », c’est-à-dire se mêler à l‘excès d’une conversation, la fraise n’est autre qu’un mot d’argot pour désigner le visage. Selon moi, la palme la plus originale pour une expression liée aux fraises revient à la langue alsacienne. Pour dire d’une personne maniérée qui parle en minaudant, on dit qu’elle « pointe sa bouche comme une vache qui voudrait saisir une fraise avec son mufle ». Sie spìtzt s Müll wie e Küh ùff e Arbeer.

Je vous souhaite une délicieuse saison des fraises !

Fraises, crème brûlée, rhubarbe en compote, streusel et fleurs de sureau. / ©S.Morgenthaler
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