Pour commencer, parlons de votre enfance, et je vois immédiatement un petit sourire sur votre visage. Vous êtes né à Strasbourg en 1961, quel genre d’enfant étiez-vous ?
Plutôt joyeux, j’avais le goût à tout. J’étais curieux, assez bricoleur. Je fabriquais des arcs, des cerfs-volants, des fusils en bois, des charrettes pour aller au défilé de l’association du village. Je suis né à Strasbourg, mais j’ai vécu à Oberhausbergen, c’est tout près. J’étais aussi proche de la nature, on sortait de la maison, on allait courir dans les champs. Le mercredi après-midi avec les copains, on partait en balade avec notre sac à dos et notre gourde. Avec mes parents, j’ai fait de la montagne et même de la haute montagne, été comme hiver, nous allions aux Contamines-Montjoie au cœur du massif du Mont-Blanc. De mon enfance, j’ai gardé cet attachement à la nature ; il y a un peu plus de dix ans, j’ai fait un trek au Népal. J’étais aussi quelqu’un de solitaire, j’ai fait ma vie assez tôt.
Vous avez fait des études, mais sur le tard, non ?
Oui, j’étais tellement curieux de tout que je ne savais pas quoi faire. J’aurais bien fait science-éco, mais avec mon niveau en math, c’était impossible. J’ai fait l’armée, l’école d’officier, et il était question d’y faire carrière, mais finalement je suis rentré à Strasbourg, j’ai envoyé des CV, et je suis entré à la BNP, ce qui m’a permis de faire un bac +4. J’ai été rapidement conseiller professionnel et c’est devenu très intéressant pour moi, j’ai commencé à goûter à l’entreprise. J’adorais ça, mais il y avait aussi des limites. Mon père m’a proposé de rejoindre SML, l’entreprise dans laquelle il avait des parts et qu’il dirigeait. J’ai d’abord dit non, on n’était pas très en accord tous les deux, je faisais ma vie depuis un moment et je suis quelqu’un de très indépendant. Et c’était une entreprise multifamiliale, une boîte où il était question de pelleteuses et de cailloux, franchement ce n’est pas ce qui me faisait tripper. Il a insisté, plusieurs fois, et finalement j’ai tenté le coup. J’avais 29 ans. J’ai eu rapidement des responsabilités. En fait, dans ma vie, j’ai toujours été du côté des décideurs, de ceux qui entreprennent. On l’a ou on ne l’a pas. Je pense que c’est dans ma nature, pas forcément de diriger, mais d’animer.
Il est là votre plaisir ? Dans la curiosité ?
Oui, bien sûr, j’aime découvrir des choses nouvelles, réfléchir aux directions dans lesquelles on peut aller. C’est pour cela que je suis entré à la CCI où il y avait de belles choses à faire, j’avais 32 ou 33 ans.
Et vous êtes pratiquement au milieu de votre nouveau mandat de président. On peut faire un bilan ?
Je n’aime pas les bilans. Chaque jour est un autre jour. Mon premier combat était de structurer un service en interne et une équipe d’élus en externe, pour accompagner la création d’entreprise. Il y a plus de vingt ans, une entreprise sur deux se cassait la figure dans les trois premières années. C’était effarant. On a identifié les causes, l’isolement du chef d’entreprise, le manque de trésorerie et le manque de préparation. On a apporté des solutions pour permettre aux entreprises qui démarrent de réussir, et l’on est passé rapidement à 90 % de réussite en cinq ans.
Il faut être très courageux dans notre monde actuel pour être chef d’entreprise, pour faire ce que vous faites ; vous avez un côté aventurier des temps modernes, genre Bob Morane, votre héros préféré !
(Rire) Oui, j’aime beaucoup, j’ai lu tout Bob Morane dans ma jeunesse. Je trouve qu’il y a une dévalorisation du chef d’entreprise de la part des politiques. Partout où je suis passé, j’ai voulu, non pas prendre leur place, mais collaborer avec eux ; on bosse ensemble, notre réussite est votre réussite, et ce message est toujours bien passé. Et puis c’est important, parce que si le monde économique se tait, il ne se passe rien. On peut citer de gros projets dans lesquels je me suis beaucoup investi, par exemple le Grand contournement de Strasbourg, une grande aventure.
Êtes-vous content du résultat ?
Oui, ça roule, il y a parfois des ralentissements, mais par rapport à avant, cela n’a plus rien à voir. Et c’est le cas aussi sur la qualité de l’air. C’est une réussite pour tout le monde.
Malgré le couac des panneaux d’indication…
Je ne comprends toujours pas, ça, je l’ai dit et écrit, c’est un peu prendre les gens pour des imbéciles.
L’actu, c’est le projet de Loi de Finances pour l’année 2024 et la réduction des ressources des CCI en France. C’est une catastrophe ?
Il y a dix ans, le budget des CCI était de 1,5 milliard, aujourd’hui c’est trois fois moins. J’aimerais qu’il y ait des ministres qui viennent voir ce que l’on fait ici, qu’on leur montre notre structure gouvernée par des chefs d’entreprise qui savent réformer ou apporter de nouveaux services. 23% de notre budget seulement est public, le reste c’est de l’autoproduction avec malgré tout, des salariés en statut public, mais d’autres que l’on arrive à embaucher en statut privé. On fait un job que personne ne pourrait faire ailleurs, et l’on nous prend encore de l’argent. Cette réduction budgétaire est un mauvais calcul, c’est injuste parce qu’on est là pour faire réussir l’économie. Il faut mettre de l’argent pour faire réussir les entreprises, c’est important, il faut faire avancer le pays. Il y a d’autres voix qui permettraient de faire des économies, encore faut-il prendre les bonnes décisions. On a des sociétés publiques qui ont été renflouées à coup de milliards et qui parlent encore de faire grève et d’emmerder les gens. À un moment donné, il faut prendre son courage à deux mains et mettre de l’ordre. Je pense que si l’on mettait 50 % de chefs d’entreprise à Bercy, la France tournerait autrement.
Comment les chambres de commerce vont-elles accompagner la transition écologique, les nouvelles façons de consommer ?
Nous nous sommes déjà positionnés, mais faute de moyens, on ne peut pas aller plus loin. Il faut que l’on emmène de plus en plus d’entreprises dans le défi climatique. Il y en a 200 ou 300 par an, il en faudrait 10 fois plus pour avancer vite. Le résultat est attendu, c’est une urgence. Là où l’on doit obtenir plus de moyens, encore une fois on nous en enlève.
La CCI a les reins solides ?
En Alsace, à un moment, on avait des défis à relever, il fallait faire des économies. On a regroupé nos moyens sur chaque site, on a harmonisé le travail, on a mutualisé les actions. On a transformé. C’est devenu une force, aujourd’hui la CCI Alsace, c’est 44 % du poids économique des CCI du Grand Est.
Êtes-vous un homme heureux ?
Oui, malgré les difficultés et les complexités, c’est une philosophie de vie. Il y a un mur, je passe à gauche, à droite, au-dessus, mais je ne prends pas le mur. Je suis de nature plutôt optimiste et positive.