Quand avez-vous rencontré le mime Marceau pour la première fois ?
Il y a une trentaine d’années, Germain Muller avait organisé une visite à Strasbourg des Alsaciens célèbres de Paris, dont Marceau. Le soir, ils sont venus manger à la Chouc’, moi je répétais un spectacle. Et cet enfoiré de Roger Siffer vient me chercher pour en faire un extrait ! C’était du Karl Valentin, un truc burlesque, que le mime Marceau avait découvert avant la guerre, un anti-nazi complétement subversif et le mime en était ravi. Moi j’avais fait une demande de parrainage à l’époque, entre autres à Marceau, qui était ok, mais on se perd de vue.
Puis vous reprenez contact pour l’ouverture du théâtre Scala le 4 décembre 2000…
J’avais oublié qu’il était né à Neudorf et qu’il avait grandi là-bas. Il a vu son premier Chaplin dans le cinéma du Scala, et plein de films muets, avec Buster Keaton, jusqu’au début de la guerre avant qu’il ne se barre—il était juif uniquement par sa mère, il s’est fait passer pour catholique. En 2000, je suis nommé directeur du nouveau Scala, je vais deux-trois fois à Paris rencontrer Marceau, à son école, et j’ai vu un mec qui ne ressemble pas du tout à Bip, il parle beaucoup, il est exubérant, il était absolument marrant. Quand je l’ai ramené à l’aéroport, il m’a montré dans le hall différentes attitudes de cavalier, moi qui adore ça, tout le monde se demandait qui était ce mec !
Comment se passe l’inauguration du Scala ?
Marceau me dit, “je viens, mais je ne veux pas d’argent, c’est des élèves de mon école que vous paierez”. Ils nous ont fait un spectacle pour trois fois rien. À l’inauguration en tant que telle, il était adorable et professionnel. Il faisait un froid de canard, pas de chauffage sur scène, un trou dans un mur, j’ai récupéré des bouts de décor à l’opéra… Il avait déjà un peu levé le pied, mais c’était un mec bourré d’énergie, il ne picolait pas, mais aimait la bonne chère. Une boule de nerfs, le bonhomme !
Le mime Marceau a inventé ce qu’il appelle la grammaire du mime, de quoi s’agit-il ?
Marceau avait rédigé une espèce de mode d’emploi du mime, il a su marquer les esprits d’abord parce qu’il était seul en scène et parce qu’il a inventé la grammaire. C’était déclinable dans tous les arts, ce n’est pas étonnant que les Japonais l’aient déclaré Trésor national vivant, ce n’est pas très loin de leur théâtre.
Et c’est grâce à ça que Michael Jackson a pris contact avec lui ?
Quand Jackson est venu en France, Marceau jouait, et il est venu le voir dans les loges, ils ont fait la photo ensemble et il lui a expliqué qu’il lui a piqué l’idée du Moonwalk. Marceau était danseur avant d’être mime, il faisait des trucs incroyables surtout à l’âge qu’il avait. Quand il parlait de Jackson, il me disait, “il y a ce jeunot qui vient dans mes loges, et qui me dit qu’il est en admiration devant moi. Je ne me souviens plus très bien qui est ce garçon…” Lui, il ne l’avait pas reconnu, quand t’as 80 balais, c’est pas étonnant ! (NDLR : Dans le livre Entretiens et regards avec Valérie Bochenek, Marcel Marceau se souvient d’une répétition au Beacon Theatre, à New York : « Michael Jackson est venu me voir jouer en 1988, je ne savais pas qu’il avait une telle attirance pour mon art. […] En 1992, nous avons abordé le sujet lors d’un repas chez lui à Los Angeles. Je lui ai demandé comment il me connaissait, il m’a dit “je vous ai vous jouer au théâtre quand j’étais enfant et adolescent.” Il s’est inspiré de La marche contre le vent pour le Moonwalk.
Avez-vous rendu hommage à Marcel Marceau à sa disparition en 2007 ?
Non, comme à mon habitude, je n’ai rien fait, comme pour Germain Muller. Si je fais un truc, je le fais plus tard. Pour Marceau, j’avais fait un one man show à la Chouc’, où je faisais du ralenti et je le lui avais dédié. Comme j’ai écrit une chanson sur le Barabli et pas sur Germain. C’est plus un hommage à l’œuvre qu’au personnage ; c’est délicat, voire ambigu de se précipiter sur la mort de quelqu’un pour en faire un spectacle en guise d’hommage, c’est dommage !
Que retenez-vous de lui ?
Dans ma vie, il a occupé une grande place dans un temps assez court, si j’additionne tous les bouts, ça doit faire deux ans. Quand j’allais à Paris, il n’était jamais là, mais j’allais voir sa manager qui dirigeait l’école. À vrai dire, je n’ai pas eu de longue période avec lui, même pas sûr que ses proches en aient eues… Il était un peu spécial niveau caractère, avec un ego énorme, je pouvais me cacher cinquante fois derrière ! De facto, tout le monde l’appelait maître, à commencer par moi d’ailleurs. Mais c’était un type tellement subtil et prenant que tu le laissais parler. Il disait “quand j’ai rencontré Gene Kelly, Orson Welles, Cary Grant, Maurice Chevalier, etc. ”, tu la boucles et tu écoutes ce que le mec a fait. Il n’hésitait pas à s’octroyer aussi une part de la notoriété des mecs qu’il avait croisés, comme nous tous en fait…
Mais peut-on parler d’histoire d’amitié entre vous ?
C’était une relation amicale, mais pas pareille qu’avec Cabrel par exemple, qui chante sur mon album… C’était une connivence à la fois régionale et artistique. Il était venu voir Stratégie pour deux jambons, il m’avait dit que c’était super. Au-delà, ça a laissé des liens, mais ce n’était pas quelqu’un de liant. Dans notre métier, on ne t’oublie pas, mais on ne te le dit pas tous les jours. C’était un fana du fax, j’avais plein de dessins de lui, qu’il m’envoyait par fax. On se téléphonait de loin en loin, mais il partait six ou sept mois en tournée sans rentrer à Paris, de Tokyo à San Paolo. C’était l’Alsacien le plus connu au monde !
Propos recueillis par Solann Battin et Eric Genetet
Pour la petite histoire
Citoyens de Castroville
D’après la Proclamation affichée au mur, Jean-Pierre Schlagg est officiellement “a citizen of Castroville”. Il raconte :
Avec ça, je peux bosser aux States ! On a fait quatre concerts à Castroville avec mon groupe. En 1873, des Alsaciens y ont migré en masse. En 2012, il en restait peut-être 200 ou 300 qui étaient bilingues alsacien-anglais, ça donnait des trucs drôles comme “alle samchdig’s ove geh’mer watching de television”. Ils ont des groupes folkloriques alsaciens, de la tarte flambée, des maisons à colombages, c’est hallucinant. Le dernier film de Tom Hanks sur Netflix se déroule à Castroville (News of the World, NDLR) et raconte l’histoire d’une petite Alsacienne kidnappée par des Indiens, qu’il ramène à des Haut-Rhinois.