Nous sommes en 1941, Madeleine a 14 ans, elle revient de deux années d’évacuation en Haute-Vienne. Elle a passé son certificat d’études en zone libre où elle a pu parfaire son français, ce qui lui a permis de jouer la traductrice entre les Alsaciens dialectophones et les bonnes âmes francophones qui les ont accueillis. À son retour dans son village de Birlenbach, elle vient de faire sa confirmation, dans la langue allemande de l’Alsace annexée. Trimbalage linguistique, mais pas seulement : partie à 12 ans sur les routes, vers l’inconnu avec sa famille, Madeleine a vécu un périple improvisé, très inconfortable et tragique pour les adultes, mais au bon goût de liberté pour la jeune fille. Madeleine voit du pays, prend le train, découvre la région de Limoges, la cuisine dans la marmite sur le feu de cheminée, et une certaine ouverture vers le monde. Elle parcourt trois kilomètres à pied chaque jour pour rejoindre l’école de la bourgade voisine, use ses souliers en rêvant d’une bicyclette. C’est avec ce souvenir que Madeleine, de retour en Alsace, se rend dans un magasin de cycles de Soultz-sous-Forêts, bien déterminée à dépenser tous les sous reçus lors de sa confirmation dans l’achat d’un vélo. Le vélociste, surpris par son paiement comptant, lui offre une chambre à air de rechange, pour le cas où ! Une bicyclette, c’était la liberté de se déplacer plus vite, et plus loin. Elle se voit encore dévaler à toute vitesse la Kiehgass et entend encore un riverain lui lancer « attention Leine, si ta chaîne se bloque, vous serez deux à être cassées » ! Mais il n’y a jamais eu de chaîne ni de chambre à air à changer, et encore moins une envie de passer le permis de conduire ! Le vélo est suspendu dans la grange, mais Madeleine garde des souvenirs plein les mollets et la sensation d’un vent de liberté dans les cheveux. Si aujourd’hui ses jambes ne la portent plus que de son intérieur à sa cour, ce sont ses doigts qui «pédalent» en crochetant de jolies maniques à offrir !
Line