mercredi 3 juillet 2024
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Melde, dit chénopode blanc en français

Si j’avais su à l’adolescence qu’il existait le métier de linguiste, j’aurais sans doute opté pour lui, tant j’aime savoir l‘origine des mots et leur désignation en diverses langues. Un jour, je me suis demandé pourquoi on disait Melde en alsacien pour le chénopode blanc. Cette plante sauvage, aussi appelée chénopode Bon Henri, est désignée généralement par le mot Gansfüess en alsacien, ce qui veut dire patte d’oie.

Si j’avais su à l’adolescence qu’il existait le métier de linguiste, j’aurais sans doute opté pour lui, tant j’aime savoir l‘origine des mots et leur désignation en diverses langues. Un jour, je me suis demandée pourquoi on disait Melde en alsacien pour le chénopode blanc. Cette plante sauvage, aussi appelée chénopode Bon Henri, est désignée généralement par le mot Gansfüess en alsacien, ce qui veut dire patte d’oie.

Cette dénomination de patte d’oie provient du grec ancien khen, (qui signifie oie), et podium (qui signifie patte) en raison de la forme palmée de la feuille de cette plante que longtemps on considérait, à tort, comme une « mauvaise » herbe.

En allemand, le chénopode blanc est désigné de façon analogue par les mots weisser Gänsefuss, ce qui signifie « patte d’oie blanche ». Parfois on l’appelle aussi, en alsacien comme en allemand, Guter Heinrich (Bon Henri) en référence au « bon » roi Henri IV qui consommait à profusion cet « épinard sauvage ».

Cette délicieuse « mauvaise herbe » était en fait cultivée dans les potagers médiévaux avant d’avoir été détrônée par l’épinard. Son goût, qui rappelle le haricot vert cru, est plus fin que celui de l‘épinard.

Chénopode blanc dit Melde ou Gànsfüess en
alsacien. Cette plante est nommée Chenopodium bonus Henricus en latin, chénopode Bon Henri en français, Guter Heinrich en allemand. / ©dr

Depuis mon enfance, je n’ai jamais entendu désigner cette plante que par le mot Melde. Il m’importait de savoir d’où venait ce mot lorsque je préparais en 2010 le livre La cuisine naturelle des plantes d’Alsace avec Hubert Maetz, le chef du Rosenmeer à Rosheim. Lui aussi désignait la plante par le terme Melde. Ce qui ne m’étonna guère, car nos mères proviennent du même village (Lochwiller, dans la région de Marmoutier).

Hubert, enfant, détestait cette plante envahissante, avec ses longues tiges qu’il fallait arracher et qu’il faisait tournoyer au-dessus de sa tête pour les jeter, avec rage, comme des catapultes, le plus loin possible. Même si le chénopode s’arrache aisément en raison de sa racine pivotante, il se montre invasif et peut revenir coloniser un lieu alors que les graines sont restées en dormance durant des années.

Hubert Maetz s’est vite réconcilié avec cette plante lorsqu’il découvrit que ses jeunes feuilles se mangeaient crues en salades. Elles peuvent être cuites à la vapeur, avec ou sans les sommités, ou revenues au beurre. Elles donnent de savoureuses quiches, des flans et des gougères. Ses graines se saupoudrent sur les mets. Séchées, puis grillées ou torréfiées, et ensuite assaisonnées de sel, elles deviennent un condiment original.

Plus d’un promeneur passe à côté du chénopode en ignorant sa délicatesse et les richesses qu’il contient. Le chef Hubert Maetz a mis de nombreuses recettes au point avec cette plante :  gratin, sauce, œufs pochés, salade au roquefort et aux cacahuètes, gougères farcies, raviolis de chénopode au fromage de chèvre, foie gras de canard poêlé au chénopode, filet de truite des Vosges et poêlée de chénopode au beurre citronné, poêlée de sot-l’y-laisse avec flan de girolles et purée de chénopode, ainsi qu’un blanc de coquelet rôti sur sa peau, avec une poêlée de chénopode et des rattes dorées au romarin.

J’allais bientôt rendre le manuscrit en 2010 et je ne savais toujours pas pourquoi Maman nommait cette plante Melde. Même Raymond Matzen, grand spécialiste devant l‘éternel de la langue alsacienne, déclara forfait. C’est finalement le dictionnaire étymologique allemand Duden qui m’apporta la réponse.

Le roi Henri 4 raffolait du chénopode Bon Henri. Au Canada, ses graines sont moulues en farine qui parfume et épaissit les soupes. / ©dr

La réponse me toucha, car elle me fit voyager par-delà les siècles et les pays. Il y est écrit que Melde est un mot issu du vieil allemand melda, qui vient du hollandais melde et du suédois mäll.

Le mot Melde dérive en fait du mot mahlen, c’est-à-dire « moudre », pour désigner le genre de plantes nommé Atriplex auquel appartient une centaine d’espèces, dont le chénopode. Le nom faisait référence à l’aspect enfariné (mehlig) de ses feuilles blanchâtres.

Maman nommait tout naturellement cette plante Melde, car le mot se transmet ainsi, verbalement, depuis des siècles. Elle ignorait pourquoi cette plante s’appelait ainsi.

Les feuilles du chénopode blanc sont douces au toucher et, en y passant le doigt, on devine cette poudre de couleur blanc argenté, légèrement farineuse, nommée pruine qui couvre ses feuilles et ses sommités pour les protéger de la chaleur.

Cette trouvaille par rapport à l’origine d’un mot donne des émotions, car elle témoigne de la force et de la beauté contenues en notre langue alsacienne, transmise par la seule voie orale depuis une quinzaine de siècles.

Il importe que nous nous battions pour qu’elle continue à fleurir, malgré les avatars qu’elle subit depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

Pour la petite histoire

Christiane Faerber, artiste-peintre, m’a appris que son arrière-grand-mère nommait le chénopode Hitlerkrüt (« l’herbe à Hitler ») pour la simple raison que, pendant la guerre, personne ne s’occupait des champs, car les hommes étaient au front. Ce qui permit au chénopode de se propager rapidement. Son arrière-grand-mère en faisait une soupe ou une purée de légumes, cuite avec des pommes de terre.

Marianne Schneider m’a rappelé que du côté de Sélestat et de Benfeld, on désigne la plante sous le nom Schissmelde (Scheissmelde en allemand) pour la simple raison que cette plante, mangée en trop grande quantité par les chèvres, leur donnerait la diarrhée.

Simone Pfeiffer m’a précisé ceci : « Vous ravivez mes souvenirs. Je crois encore entendre Mamama dire : Hit gibts Meldagmies » (aujourd’hui nous mangerons de la purée au chénopode). Et c’était si bon ».

Jonathan Knaus m’a rappelé qu’en vieille France, on désignait le chénopode par l’expression « chou gras », qui fait allusion à ses vertus nutritives.

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