Vous écrivez que vous êtes en paix avec ça, mais que l’échec du référendum a été pour vous une blessure. Est-elle réellement cicatrisée ?
Je peux vous dire que le 7 avril 2013, j’ai pris un énorme coup sur la tête, j’étais sonné. Aujourd’hui c’est cicatrisé, oui, même si j’ai toujours le sentiment d’un énorme gâchis. C’est vraiment un regret. Je suis en paix avec moi-même, car j’estime que l’on a fait le boulot que l’on devait faire.
Pourquoi ce livre arrive-t-il, huit ans après ?
J’étais vraiment passé à autre chose, mais j’avais conservé mes archives, j’avais beaucoup de matière. Au moment de l’avènement du Grand Est j’ai commencé à songer à écrire, je me suis dit que si je ne racontais pas cette histoire, un jour les archives seraient détruites et l’on n’en parlerait plus. J’étais le seul à pouvoir écrire ça. Je m’en suis ouvert à une petite dizaine de personnes pour savoir si ce n’était pas complètement idiot et tout le monde m’a répondu qu’au contraire, ça serait super intéressant, même si les éditeurs alsaciens pensent qu’un livre politique est un bide financier assuré. Mais, ce n’est pas un livre politique, je raconte une histoire, c’est un témoignage.
Vous écrivez qu’en 2013, la campagne pour le référendum a été trop courte pour convaincre les Alsaciens qui ont raté une occasion unique. Ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes ?
Je ne rejette pas la faute sur les Alsaciens. Rien ne leur a été expliqué alors que le sujet était extrêmement complexe. Il fallait faire un travail de terrain qui nécessitait beaucoup plus de temps. Pour nous, c’était quatre ans de boulot, et les politiques qui sont quand même au courant ont mis deux ans avec des débats ubuesques à se mettre d’accord ; après ils ont demandé aux Alsaciens de s’approprier le truc en dix semaines, ça ne pouvait pas marcher.
C’est le constat que vous faites maintenant !
Absolument. Mais pendant la campagne je me suis rendu compte qu’il y avait un truc qui ne fonctionnait pas. On était en permanence sur la défensive. Dès le départ, il y a eu ce gros débat sur le lieu du siège, avant même que le projet soit écrit quelque part, pour beaucoup de gens c’était des discussions de marchands de tapis. Après, on a publié ce fameux schéma (à retrouver dans le livre) qui était forcément complexe. C’est resté dans la mémoire des Alsaciens. Pour les opposants, c’était très facile de dire : « Regardez comme c’est compliqué ».
Ce que l’on sait moins, c’est que si les Alsaciens avaient dit oui, la réforme des régions en France aurait été différente, et le Grand Est n’aurait pas été le Grand Est ?
Oui, car nous étions observés par d’autres régions. Les Alsaciens ne se sont pas rendu compte de ça. François Hollande lui-même aurait dit qu’avec le Conseil d’Alsace, la réforme des régions n’aurait pas été la même. On n’aurait pas pu « attirer » le Conseil d’Alsace dans le Grand Est. Ça aurait été le point de départ d’une décentralisation asymétrique, car toutes les collectivités ou toutes les régions de France n’ont pas obligatoirement les mêmes compétences, elles peuvent être adaptées aux territoires en fonction du contexte. Là, tout est uniformisé, c’est catastrophique pour le travail de terrain.
Votre livre explique aussi le cheminement jusqu’à la création de la Collectivité européenne d’Alsace, la CEA qui ne rattrape pas du tout le coup finalement. Vous écrivez que le Grand Est est une catastrophe pour l’Alsace, mais que cela ne durera pas, que l’Alsace pourra remettre cette histoire de fusion au centre des débats !
La situation est quand même très délicate ; ces grandes régions, c’est une connerie. Je ne comprends toujours pas comment ils ont pu sortir un truc pareil, car tout démontre que le pouvoir d’une région ne dépend pas de sa taille. Je pense que le Grand Est est valable uniquement pour certaines politiques, par exemple le ferroviaire, voir l’agriculture. Mais pour tout le reste, ce n’est pas du tout adapté. Il faudrait pouvoir revenir là-dessus, cela ne dépend pas de nous, mais du législateur. En fait, la décentralisation en France a été très mal faite, il n’y a pas de ligne directrice, pas de philosophie. Je pense que c’est du grand n’importe quoi. D’ailleurs, je dis, comme une boutade, qu’au lieu d’affirmer que la République a une organisation décentralisée, on ferait mieux de dire que la République a une désorganisation centralisée. La France a besoin d’être décentralisée, il faut arrêter avec cet esprit Jacobin.
Un mot sur ce titre, L’Alsace malgré elle, avec ce mot malgré qui colle à la peau de la région.
Au départ, il y avait même un trait d’union entre malgré et elle. Mais, c’était une faute de français, on ne peut pas mettre de trait d’union, sauf si on parle des malgré-nous. Et puis, avec l’éditeur, on a estimé que c’était un bon titre parce que c’est la réalité. L’Alsace a voté contre ce Conseil d’Alsace, avec les grandes régions elle a disparu institutionnellement, comme je le dis dans mon livre on écrivait donc l’Alsace avec un petit a, et depuis le 1er janvier elle est redevenue institutionnelle, donc avec un grand A, et cela malgré elle.
Vous écrivez aussi que l’identité alsacienne n’est pas menacée. Finalement, elle ne l’est jamais ?
Oui, mais il y a des gens qui ne pensent pas ça, qui disent que dès qu’elle n’existe plus institutionnellement on efface peu à peu son identité. Mais l’identité alsacienne ce n’est pas les panneaux sur les trains. Quand on est Alsacien, on le reste. Pourquoi dépense-t-on des milliers d’euros à créer une identité ? Cela n’a pas de sens, on est Lorrain, on est Champenois, on est Alsacien, tout cela est parfaitement identifié. L’identité alsacienne n’a jamais été menacée effectivement, affirmer le contraire est un argument démagogique.
Dernière question, qu’est-ce qui pourrait arriver de mieux à l’Alsace ?
Qu’elle retrouve ses compétences régionales et que la CEA devienne une collectivité à statut particulier, comme l’aurait été le Conseil d’Alsace. Que l’on obtienne d’une autre façon ce que l’on n’en a pas obtenu par référendum.