Pour le grand public, comme pour certains puristes, Porsche se réduit plus ou moins à un sacré numéro : 911. Modèle phare, racé, puissant, décliné à l’infini, il fait depuis toujours oublier tout ce que le constructeur de Stuttgart a pu imaginer – même si les Cayman, Panamera et autres Macan ont permis à Porsche de développer de manière flagrante ses ventes, en touchant un public moins « sportif », mais pas dénué d’intérêt pour le luxe à l’allemande. Gautier, évidemment, a aligné les 911, plus ou moins préparées, plus ou moins récentes, dans son garage de Hoerdt, Gautier Ebel Motorsport. En passionné d’automobile, il avait aussi un rêve : courir sur une épreuve mythique, « Le Mans Classic », ouverte aux véhicules de collection. « Le problème, c’est que trouver une voiture éligible, c’est compliqué. » Il fallait donc une voiture hors norme, un truc de fou, du lourd.
« Je suis là dans deux heures »
En allumant son ordi, et en scrollant sur Facebook, Gautier tombe sur une annonce qui le scotche instantanément : une 928s, préparée pour la course. « J’ai vu l’annonce à 6h du matin, je l’ai appelé dans la minute, et je lui ai dit je suis là dans deux heures, j’accroche le plateau et j’arrive ! (rires) La voiture était roulante, pas chère du tout : le vendeur débarrassait la maison de son frère décédé. Elle était préparée, mais le projet n’était pas terminé. On l’a sauvée de la casse en fait ! » Les arceaux de course sont déjà installés, les amortisseurs aussi. « Elle était coursifiée, mais pas aux normes d’aujourd’hui. Mais pour ce que je veux faire, un modèle comme ça, bah ça n’existe pas ! C’est une licorne ! C’est un coup de bol incroyable. »
Un vrai revival
Comme la vie est farceuse, cette 928s a roulé aux 24h du Mans dans sa jeunesse, entre les mains de Raymond Boutinaud, que Gautier a contacté pour lui raconter son histoire : « Il a halluciné qu’un jeune se mette sur un projet comme ça. J’ai toujours rêvé de faire Le Mans Classic, mais des 911 il y en a trop, ils les trient. Et à part la 928, ou la 914 – mais qui est beaucoup plus chère – il n’y a pas d’autre choix. » En quelques semaines – et quand il a le temps au garage – Gautier a déjà commencé quelques travaux. Il faut déshabiller l’intérieur, mais le système de freinage a déjà été refait. « J’ai trouvé des rétros d’origine, il faut faire quelques raccords de peinture, une grosse révision… D’ici quatre, cinq mois, elle sera prête. »
Un moteur hors normes
L’autre spécificité de ce modèle rare, et pas des moindres, c’est le moteur. Le seul V8 proposé par Porsche, parce qu’il destinait ce modèle au marché américain, friand de gros vrombissements. « Les Porsche de plus de 300cv, c’était rare ! C’est ce qu’il y avait de plus puissant sur la gamme. C’est un moteur avant, plutôt fiable. » Le gabarit, les courbes, le moteur à l’avant… « Elle n’a rien d’une Porsche », rigole Gautier. Ce V8 n’a pas grand-chose d’Allemand, et avec son refroidissement liquide, « le son n’a rien à voir », jure le spécialiste. « La motorisation est incroyable. » Le modèle noir qui rappelle les TransAm et autres Firebird de l’époque date de 1985. Et le 4,7L ne voit pour l’instant pas beaucoup la lumière du jour : « Je fais deux fois le plein pour faire le tour du village », dit Gautier en exagérant à peine. Pour de la course d’endurance, ce n’est pas l’idéal, mais, malgré le poids, « elle marche plutôt pas mal ! »
Lors de la prochaine édition de la « Classic », en 2025, Gautier a donc bon espoir de pouvoir emmener sa 928s sur le bitume manceau. Seul objectif qu’il se fixe : s’amuser. « Je ne pense pas qu’on peut gagner, c’est purement pour le fun. Elle est lourde, elle consomme pas mal… C’est avant tout un gros coup de cœur cette voiture, on la gardera après quoi qu’il arrive. Mon père gamin en rêvait, et moi aussi. » Qui n’a jamais rêvé d’avoir une licorne ?
Une GT élue voiture de l’année
Après des années de recherche pour développer un contre-produit à la 911, Porsche finit par sortir sa 928 en 1977. Moteur avant, propulsion, phares allongés, arrière arrondi… Rien ne va pour les puristes, mais la voiture va être élue « Voiture de l’année » 1978, par un jury européen d’une cinquantaine de journalistes. C’est la première et seule GT à obtenir la distinction jusqu’à aujourd’hui. Signe des temps qui changent, en 2024, c’est la Renault Mégane E-tech Electric qui a été élue. À des années-lumières des 300cv et 15L/100 de la Porsche 928.