Quand les Poules d’Alsace du Nord auront des dents !

Si tout va bien, en 2022 (promesse de campagne du Président Macron) les œufs coquilles ne seront plus issus d’élevage en cage. Déjà, plusieurs enseignes ne vendent que des œufs code 0 (bio) ou code 1 (plein air), Monoprix ne propose plus d’œufs pondus par des poules élevées en batterie (Code 3) depuis 2016, Carrefour s’est fixé 2020 comme objectif.

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Et les élevages sont bien obligés de suivre. Sauf que rien n’est simple, il faut s’organiser, trouver des terrains, construire des aménagements, investir. Pour Alsace Nature, il faut aussi réformer les procédures d’autorisation des élevages industriels, car il existe des abus et pour faire passer son message, l’association a ciblé un élevage en Alsace du Nord, Zacher à Preuschdorf, l’un des plus importants en Alsace. 

Maxi Flash a rencontré la représentante d’Alsace Nature et Alfred Zacher, de quoi se faire un avis, avant une bonne omelette si vous avez encore de l’appétit, car, le moins que l’on puisse dire quand on les écoute, c’est que toute cette affaire est bien compliquée.

Pour étiqueter des œufs « plein air » (code 1), il faut mettre à disposition des poules un parcours extérieur de 4 m2 par poule, ce qui fait 16 ha pour 40 000 poules dans le cas de Preuschdorf. L’espèce est originaire des milieux forestiers, il est donc recommandé de rendre les parcours attrayants et sécurisants notamment par la présence d’arbres, d’arbustes et d’abris. Or, les poulettes qui sont enfermées durant toute leur jeunesse dans des bâtiments obscurs à éclairage artificiel ont peur de sortir. 

A Preuschdorf, un élevage dans le viseur d’Alsace Nature

L’élevage Zacher, une ferme familiale à Preuschdorf est dans le viseur d’Alsace Nature : 38 000 poules dites en plein air sont censées accéder à l’essentiel de leur parcours par une passerelle qui présenterait des non-conformités. Il s’agit d’un « plein air de façade » qui bénéficie aux poules les plus téméraires, sans tenir suffisamment compte de la nature de l’animal, nous explique Alsace Nature qui dénonce des abus. Pour elle, le consommateur qui paye pour de bonnes conditions d’élevage des poules est floué. Pourtant, l’installation, qui fonctionne avec l’accord du Préfet, a été subventionnée, car les élevages sont poussés à sortir de la « cage » pour faire du plein air. Mais c’est compliqué à mettre en place. Par exemple, si toutes les poules sortent, « la quantité de fientes est ingérable », affirme Zacher, alors qu’il est impératif de mettre des limites à la concentration des poules. En fait, rien n’est interdit, alors, dans ce contexte, les questions de l’éleveur sont très pertinentes. 

Dans ce dossier, nous aurions pu parler de la guerre des prix sur les œufs des grandes surfaces, qui là aussi crée des problèmes, ou de la législation qui prévoit des trappes pour que les poules sortent, mais pas que les poules les utilisent. Drôle de monde, où il semble que ce qui arrive dans nos assiettes ne soit pas la priorité.

Cela sera peut-être le cas un jour, quand les poules d’Alsace du Nord auront des dents.   


Entretien avec Alfred Zacher

À la tête de l’exploitation familiale, l’une des plus imposantes en Alsace avec une centaine d’hectares, Alfred Zacher souhaite arrêter progressivement les poules en cages (environ 130 000 aujourd’hui), alors que Mathias, son fils, s’est déjà émancipé. De son côté, il « fait » du plein air avec 38 000 poules. Les fameuses poules dans le viseur d’Alsace Nature. 

Quelle est votre réaction après le communiqué de presse d’Alsace Nature qui parle de plein air de façade ?  

C’est compliqué de répondre à ça. Il y a une partie de la population qui veut à tout prix casser la production de viande et d’animaux en France. Après, il y a des réglementations à respecter qui ont été respectées. Aujourd’hui, des travaux de clôture et de passerelle ne sont pas terminés. On a souhaité acheter la route qui sépare l’exploitation du terrain, mais la commune n’a pas voulu, elle a préféré que l’on construise une passerelle. Après, comme vous et moi depuis novembre, il est vrai que les poules n’ont pas envie de se promener à l’extérieur, il fait froid et elles ne sont pas plus bêtes qui nous. Alsace Nature est étonnée quand les poules ne sont pas sorties un jour de neige… Mais elles restent à l’abri. Il faut aussi qu’elles s’habituent à faire la distance pour aller jusqu’à la forêt, elles ont peur du soleil, donc naturellement elles ne vont pas très loin. Avec le printemps, les poules pourront exploiter le terrain et la passerelle, mais il faut une éducation, un temps sans soleil. C’est un débat de longue date. 

Quels travaux vous reste-t-il à terminer ?

On s’adapte aux nouvelles réglementations, on a prévu de construire des clôtures de deux mètres cinquante, encastrées de 40 cm dans le sol, pour protéger les poules des renards et des prédateurs, mais on est encore attaqué. Alsace Nature était contre les poules en cages, puis contre les poules plein air, ils sont un peu contre tout. 

Pourquoi ? 

Ils font leur boulot, comme nous sommes les plus grands, que nous sommes des pionniers pour faire de l’élevage plein air, on se fait attaquer, mais c’est de bonne guerre, disons. Aujourd’hui, on ne veut plus d’élevage intensif. Si on les écoute, il faudrait que chaque famille possède cinq poules, à la campagne comme en ville, et produise elle-même… Il y a un déphasage entre le rêve des gens, les poules magnifiques au coucher de soleil, et la réalité. On n’est plus dans les années 1960, ce n’est plus la même agriculture, tout le monde veut acheter des œufs plein air, mais personne ne sait ce qu’est vraiment une exploitation. On nous a demandé de produire pour nourrir les gens dans les villes, et aujourd’hui on nous dit que l’on n’a pas le droit d’avoir plus de trois poules. 

Il existe 40 millions de poules en France qui sont élevées en batterie. C’est un virage important ?

Elles doivent disparaître et réapparaître d’une autre façon. Je pose la question : on les met
où ? Il faut deux millions de poules pour nourrir l’Alsace, on est obligé d’aller en chercher en Bretagne. On veut acheter alsacien, mais on ne veut pas d’élevage. Et tout le monde veut du plein air. On fait comment ? On construit des zones autour de chaque village avec des poules qui courent sur des kilomètres ? J’ai du respect pour la représentante d’Alsace Nature, mais la question est : comment doit-on faire ? On a souvent parlé tous les deux, parfois toute la nuit, on va souvent dans son sens, on lui a promis de mettre des jardins d’hiver pour les poules plein air par exemple, mais pour avoir de l’impact, elle utilise notre nom. C’est comme un catholique et un musulman, on peut avoir du respect sans être d’accord sur la façon de prier Dieu.  


Entretien avec Anne Vonech

Référente élevage chez Alsace Nature.

Que répondez-vous à Monsieur Zacher que vous connaissez bien, quand il dit que  vous l’attaquez ?

C’est la stratégie de la victimisation. Je lui demande depuis 20 ans de faire du plein air, mais Alfred Zacher est dans sa logique industrielle, il veut fournir les grandes surfaces avec de gros volumes. Sur 40 000 poules, combien vont aller en plein air ? Si l’on a un étiquetage plein air, on s’attend a priori à ce que les poules sortent, dans un environnement stimulant. Si elles ne sont que 3% à y aller, ce n’est pas normal. Ils n’ont toujours rien fait, rien planté. Ils font des économies d’échelle, un minimum de travail pour un maximum de poules. Le problème est la sincérité du plein air. Je ne dis pas qu’il maltraite ses poules, mais le problème est l’étiquetage. 

C’est à dire qu’il vend des œufs code 1, alors que ses poules ne sont pas en plein air ?

Ce que je dis c’est qu’il y a des non-conformités. Actuellement, il n’existe pas 4 m2 par poule. On peut se dire qu’il va faire les choses, qu’il est en difficultés économiques, mais c’est limite et les services de l’État ferment un œil. Les députés ont voté contre l’interdiction des cages batteries, il n’y aura pas de loi, mais des aides pour changer de système. Le problème des exploitations comme Zacher est qu’elles n’arrivent plus à vendre leurs œufs de cage, les grandes surfaces n’en veulent plus.

Vous dénoncez également la procédure d’autorisation d’exploitation, pourquoi ?

Si vous avez un élevage industriel de moins de 40 000 volailles, il y a simplement un enregistrement avec une consultation publique par internet, et si c’est plus, c’est une autorisation. Finalement tout est fait, tout est décidé après la présentation d’un dossier et tout est parfait, alors que le bien-être animal est hors sujet, ça n’intéresse personne ou presque. Les contrôles sont presque inexistants.