Une intelligence artificielle qui argumente

Voilà plusieurs décennies que partout dans le monde l’idée de la légalisation du cannabis divise l’opinion publique. La filiale israélienne d’IBM a vu dans ce débat une opportunité en or pour entraîner Project Debater, une intelligence artificielle programmée pour améliorer la prise de décision humaine. Le premier test public du dispositif a rencontré un fort succès, lors d’une conférence organisée le 13 juin dernier à Israël.

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C’est dans une salle bondée du Centre des congrès de Tel-Aviv que le monde a fait la connaissance de Project Debater. Jusqu’à lors uniquement entraînée à raisonner à partir d’une base de données, l’intelligence artificielle s’est montrée pour la première fois capable d’interagir en temps réel avec un public. Project Debater a ainsi pu recueillir et analyser 1037 arguments du public en faveur ou non de la légalisation du cannabis.

Si l’objectif n’était pas de trancher en faveur d’un camp ou d’un autre, en dégageant les 637 arguments « pour » et les 388 « contre », l’intelligence artificielle a réussi son pari d’isoler les idées les plus pertinentes en deux argumentaires construits. Un compte rendu, qui en plus de synthétiser des points de réflexion très nombreux, a le mérite d’esquiver les analogies douteuses, les généralisations abusives ou encore les renversements de la charge de la preuve : des biais argumentatifs typiquement humains.

Une (petite) révolution

Pour arriver à ce résultat, il a été demandé aux spectateurs de développer un argumentaire construit entre huit et trente-six mots. Après les avoir passés au peigne fin, Project Debater a classé les 1037 réponses dans des champs « pour » ou « contre », puis il a éliminé les redondances. Une fois ces arguments classifiés, l’intelligence artificielle a réussi à détecter automatiquement les thèmes sous-jacents du débat et à les organiser de manière cohérente. Enfin, il a réussi à identifier et à corréler ces différents points pour les exposer clairement dans deux discours pour et contre.

Dans son argumentaire en faveur de la légalisation, Project Debater explique par exemple qu’il serait illégitime de la part des gouvernements de limiter les choix de consommation des personnes « en se fondant sur le mal provoqué par la substance, en particulier dans la mesure où l’alcool et la nicotine sont actuellement légaux ». Dans son argumentaire en défaveur de la légalisation, la machine a rappelé entre autres que la consommation de cannabis pouvait « nuire à la mémoire », et que même si la légalisation pouvait être rentable pour l’État, elle pourrait aussi représenter « un coût important pour la santé publique » notamment pour traiter la toxicomanie et les psychoses.

En déclarant que « la légalisation du cannabis permettrait la création d’entreprise » ou encore que « le cannabis pourrait faire un pont avec d’autres drogues », l’IA n’apporte pas de nouveaux éléments au débat. Cela dit, on ne s’attendait pas non plus à ce que la machine pense à notre place. À ce stade, il s’agit surtout de compréhension et de retranscription. Si nous sommes encore loin de pouvoir « apprendre » de Project Debater, cette présentation servait surtout à tester la machine pour qu’elle s’améliore et qu’elle puisse, un jour, développer des réflexions inédites. Avec un sujet moins clivant et moins matraqué que le cannabis, l’être humain pourrait néanmoins apprendre quelque chose, grâce à la capacité de synthèse de la machine.

Signe d’un futur déjà bien engagé

À la suite du test, le Dr Noam Slonim, chercheur principal de la cellule d’IBM Research à Haïfa, « très heureux de la façon dont s’est déroulée la démonstration du Project Debater », s’est félicité de l’absence de bug et de la rapidité de traitement d’informations en direct par l’IA, pour lui, c’est déjà un signe très encourageant pour la suite.

IBM est actif en Israël depuis 70 ans, Haïfa est le plus grand laboratoire de la division recherche d’IBM en dehors des États-Unis. Selon le président de la filiale D’IBM sur place, Daniel Melka, cette technologie « pourrait se transformer en plusieurs produits autour du processus de prise de décision ». Il suggère que les PDG puissent s’en servir pour recueillir les points de vue de leurs employés ou les commentaires de leurs clients sur leurs produits ou services. De plus, Project Debater serait un outil idéal pour les institutions gouvernementales afin de faciliter le recueil et l’analyse des points de vue des citoyens sur les dossiers d’intérêt général les plus clivants.