samedi 23 novembre 2024
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Nathalie Fritz – La force des racines de Niederroedern

La force des racines a rattrapé Nathalie Fritz avec ce livre qu’elle a initié et qui est une somme précieuse d’informations sur Niederroedern, dit « Redere », ce village du nord de l’Alsace. C’est comme une fulgurance qui l’a saisie, qui lui a fait suivre ses impulsions pendant 18 mois et mener un travail de titan à côté de son métier.

Nathalie Fritz fait partie de l’équipe fondatrice et dirigeante de la Laiterie Artefact PRL, qui assure depuis sa création en 1994 la gestion et la programmation des Salles de musiques actuelles de la ville de Strasbourg. Je la connais depuis des années : elle fut parfois mon invitée dans des émissions radio et télévision. J’ai eu grand plaisir à la retrouver devant un café, et je l’ai laissé parler pour qu’elle vous raconte l’aventure de ce livre.

J’ai eu un flash

Je ne pensais pas écrire ce livre. La veille, je ne le savais pas encore. Je ne viens pas du monde de l’écriture. L’idée est venue si naturellement. En 2016, mes parents ont fêté leurs cinquante années de mariage. Pendant le repas, maman racontait à ses petits-enfants des histoires d’autrefois. J’ai soudain eu un flash : ces histoires devaient être notées ! J’ai commencé à l’interviewer, elle comme mon père. Puis je me suis rendue à la mairie chercher des informations pour compléter mon arbre généalogique.

Inondation du siècle le 16 janvier 1955 par la crue du Seltzbach.
/ ©S.Morgenthaler

Une communauté juive importante

Dans les actes de naissance, je suis tombée sur une histoire qui m’a fascinée :
elle touche la communauté juive de mon village. En 1808, Napoléon a imposé à tous les juifs de l’Empire de passer en mairie pour y fixer leur nom et prénom, afin de mieux pouvoir les recenser. J’ai trouvé 200 actes de transcription. C’était bouleversant. Des familles entières sont passées en mairie en l’espace de trois mois pour changer de nom. Ensuite je me suis rendue chez Irène Besenbruch, la femme d’un des deux boulangers. Elle fait partie de la mémoire vivante du village et possède un nombre impressionnant de cartes postales du village, qu’elle a collectionnées sur plus de trente ans avec son défunt mari Robert, ancien boulanger. J’étais surprise, il y en avait un classeur rempli ! Tellement que je n’avais pas le temps de toutes les regarder en une fois. Irène avait une anecdote à raconter pour chacune d’entre elles ! Alors j’y suis retournée une deuxième fois ! À ce moment-là, Martine, sa fille et Jean-Pierre, son gendre, me montrent les textes que Robert Besenbruch a écrits sur la Deuxième Guerre mondiale, comme l’évacuation du village en Haute-Vienne ou l’opération Nordwind dans le nord de l’Alsace. Je fus impressionnée par la matière historique et la qualité littéraire de ces écrits ! Je leur ai dit: « Il faut mettre tout ça dans un livre, vous ne trouvez pas ? »

Charrette à ridelles attelée par des bœufs : la vie agricole dans les années 40-50. / ©S.Morgenthaler

La première chose fut d’aller voir Monsieur le maire qui était enthousiaste dès la première seconde et qui nous a soutenus à 100% tout au long du projet. Puis, nous avons rassemblé des documents dans les archives communales, cherché des photos chez les habitants et collecté des éléments de l’Histoire et des histoires du village.

Toutes les photos de classe de 1892 à 1977

Au niveau des photos, nous avons prêté une attention particulière aux photos de classe et nous avons réussi à les trouver toutes à partir de 1892 et ce jusqu’en 1977. Elles y figurent sans exception dans le livre, car c’est émouvant de pouvoir mettre un visage sur un nom d’un ancêtre du village d’où l’on vient. J’ai commencé mes interviews dans le village. Les anciens m’ont raconté leur enfance, leur Kerwe (messti) , leurs fêtes religieuses, leurs brioches du 14 juillet, leur abécédaire, leur période d’école sous l’occupation. À ces témoignages s’ajoutent les récits de guerre, ou encore ceux sur les gens du voyage dans l’histoire du village. J’ai cherché les noms des lieux-dits dans les champs, les calvaires, l’histoire des Hofnäme (noms de ferme) et j’ai fait la généalogie des 200 maisons du village à partir de 1885/1900.

Des femmes du village âgées de 14 à 50 ans réquisitionnées par l’armée
allemande pour les corvées nommées Schanzenarbeit. / ©S.Morgenthaler

La guerre a frappé le village en janvier 1945

La guerre fut redoutable dans notre village. L’opération « Nordwind » est arrivée en janvier 45 alors que Strasbourg et Mulhouse étaient déjà libérées. Combat ultime entre Alliés et Allemands. C’est ainsi que fut bombardée la synagogue dont il ne reste rien, anéantie parce qu’elle contenait tout l’arsenal de guerre des Allemands. En pièce jointe du livre, on trouve le plan de Niederroedern de 1947, qui montre l’état du village après-guerre avec son lot de destructions.

Atmosphère de cour de ferme en 1917. L’homme a fait faire cette photo avant de repartir à la guerre au cas où il ne reviendrait pas…. / ©S.Morgenthaler

Avec l’équipe de bénévoles qui m’a aidée, j’ai voulu un beau livre, imprimé en Alsace, qui retrace les histoires de nos ancêtres qui font la grande Histoire de notre village. Cette transmission aux générations futures est importante. L’ouvrage est illustré par plus de 1100 images (photos de famille, cartes postales anciennes, documents d’archives) et rythmé par de nombreux témoignages.

Le livre Histoire[s] de Niederrœdern, notre village de 1900 aux années 1980 est disponible à la mairie.


L’info en plus

Le dimanche 15 octobre aura lieu la cérémonie de la pose de Stolpersteine, ces pierres d’achoppement qui commémorent les endroits où vivaient des victimes du nazisme et qui sont honorés par une plaque au sol. Terme allemand, Stolperstein signifie littéralement « pierre sur laquelle on trébuche ». Il s’agit de petits pavés en laiton, des « pavés de mémoire », créés à l’origine par l’artiste Gunter Demnig, qui illustrent une manière de se souvenir des victimes du nazisme en trébuchant avec sa conscience et son cœur sur ces pavés.

Les noms et dates de naissance des personnes sont inscrits sur le pavé qui est ancré dans le sol, en général devant leur maison d’habitation avant l’évacuation ou la déportation. C’est le plus grand mémorial délocalisé de la Shoah et de la déportation avec plus de 100 000 pavés posés en Europe répartis dans 28 pays.

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