samedi 23 novembre 2024
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Arsène Wenger – Le gentleman du foot

J’ai rencontré Arsène Wenger, l’Alsacien de Duttlenheim, dans la campagne au nord-ouest de Londres, dans le fief d’Arsenal, le club de Division 1 de Londres, dont il était alors le manager. C’était en 2002, avant la 17e Coupe du monde Corée-Japon. Et il avait déjà un admirable palmarès d’entraîneur.

Lorsque le chauffeur de taxi londonien qui m’y conduisait a compris que j’avais rendez-vous dans les locaux d’Arsenal avec le boss, il m’a dit :  Wenger ? He’s perfect ! (« Wenger, il est parfait »).  Outre-Manche, Arsène Wenger, adulé du public, aimé des journalistes, était déjà une star. Pas une semaine ne passait sans que son visage apparaisse à la télévision. Le football en ce pays est une véritable religion. L’image que renvoyait le manager d’Arsenal était celle de la combativité fair-play, sereine et victorieuse.

 

Le chemin ne fut pas sans embûches. L’ancien joueur du Racing Club de Strasbourg, avec lequel il fut champion de France en 1979, avait réussi des exploits à différents niveaux : se faire accepter dans un pays isolationniste et conservateur, imposer sa méthode et hisser Arsenal au niveau des grands d’Europe. Il avait alors révolutionné les esprits en faisant venir des joueurs français. L’Angleterre s’était vite ralliée à cette french touch . Il fallait du culot tout de même, non ? J’estime que lorsqu’un Français va à l’étranger, il doit apporter un plus, a-t-il répondu. Mon plus, ce fut Patrick Vieira, Robert Pires, Thierry Henry et Gilles Grimandi…

 

On parlait alors de la « méthode Wenger » : ouverture, patience, confiance, sans jamais se départir de son calme, avec ce zeste de fair-play qui laissait les Anglais admiratifs. Arsène, le gentleman rafleur de coupes, avait signé à Arsenal jusqu’en 2005.  The Japanese are mad for letting him go, we won’t do that, a ajouté le chauffeur de taxi. (« Les Japonais sont fous de l’avoir laissé partir, nous, nous ne le lâcherons pas »). L‘Alsacien de Duttlenheim offrait en plus aux Londoniens le plus inattendu des cadeaux : un nouveau stade pour 80 000 personnes, qui doublerait l’accueil, dans un délai de deux ans.

 

L’essentiel de la vie d’Arsène se passait en 2002 à Saint-Albans, petite ville à une trentaine de kilomètres de Londres. Il y était quasiment sept jours sur sept. C’est là que se trouve le centre d’entraînement du club, un véritable camp retranché dans une campagne verdoyante, avec huit stades, une sécurité renforcée, une surveillance vidéo extrême pour protéger des joueurs qui valent de l’or. L’entraînement avait lieu de 9h30 à 12h30.

Arsène Wenger à l’entrée du Club Arsenal, janvier 2002. / ©S.Morgenthaler

À 13h, le repas était pris en commun par Arsène et les joueurs, dans une salle à manger lumineuse qui donne sur de vastes prairies. L’ambiance était feutrée et bon enfant. Les joueurs anglais, touchants de bonne foi, s’appliquaient à parler français. Les Français les corrigeaient, les encourageaient. Arsène Wenger avait alors 52 ans. Avec sa silhouette élancée, il écoutait, serein, sérieux et amusé. Il faisait rayonner son étonnante aura, à la fois discrète et très présente, en s’exprimant fort bien en anglais. J’ai appris l’anglais ici en Angleterre quand j’avais 29 ans. Je profitais de vacances pour suivre pendant trois semaines des cours de perfectionnement dans un collège de Cambridge. J’avais quelques bases de mes années de collège. Je m’exprimais déjà en anglais au Japon durant mes deux années comme entraîneur au Nagoya Grampus Eight, en 1995 et 1996.

 

Notre entretien se faisait en alsacien, notre langue maternelle, ce qui résonnait étrangement dans ce lieu. Pour moi le bilinguisme a été essentiel. Il permet dès l’enfance une magnifique gymnastique de l’esprit. Et puis ce qui m’a le plus aidé dans la vie, ce sont mes racines terriennes. À Duttlenheim, je passais mon temps dans les champs avec mon voisin. Je sais atteler un cheval, traire les vaches, tuer un coq. La campagne vous donne des bases saines. La ville est un lieu où se développe plutôt la triche, le mensonge, le superficiel.

 

Au village, sa maman Louise tenait avec son papa Alphonse, le restaurant du village La Croix d’or (s goldene Kriz). Le football club de Duttlenheim y avait son siège social. Enfant j’assistais à des réunions où j’entendais le président parler des joueurs. L’entraîneur expliquait à quel poste il les ferait jouer. J’étais baigné dans ces discussions. Elles attisaient ma curiosité. Ma vocation est partie de là. Mon frère est devenu président du club de Duttlenheim. Je soutiens toujours encore le club de mon enfance.

 

Le sport était son idéal, mais il ne pensait pas gagner de l’argent avec cette passion.

Je viens d’un temps où rien ne pressait. J’ai vu la mer la première fois à 15 ans, j’ai vu la première fois la télé à 16 ans. J’ai pris l’avion pour la première fois à 20 ans. Lorsqu’on dit cela aujourd’hui, on a du mal à être crédible.

 

Après Duttlenheim, il a joué à Mutzig, où il fait une rencontre essentielle avec Max Hild, qui fut plus tard entraîneur et directeur technique du Racing. Dans la vie, on croise sur sa route un être capital. Pour moi, ce fut Max. Je le considère comme mon père spirituel.

 

À l’époque il ne soupçonnait pas qu’il serait un jour capable de commander une équipe. Je n’en avais absolument pas conscience. Devenir entraîneur est un virage idéal pour un footballeur. Je l’ai pris au Centre de formation de Strasbourg en 1981, puis à Cannes, à Nancy, à Monaco, à Nagoya et ici, à Londres, depuis 1996. Je ne pensais pas un jour diriger des hommes. Je n’ai d’ailleurs pas l’impression de commander. J’analyse. Je donne mon point de vue. Je conseille.

 

En 2002, Arsène Wenger vivait une paternité heureuse, arrivée tardivement, à 47 ans.

Léa, sa fille, née d’une maman basketteuse, avait alors près de 5 ans. Elle n’aimait guère le foot qui lui volait son papa. Cette paternité l’avait-elle bonifié dans le métier d’entraîneur ? Non. Comme entraîneur, il faut être « ruthless », c’est-à-dire sans état d’âme, fut sa réponse.

 

Assis non loin de nous, dans la cantine de luxe d’Arsenal, Robert Pires, Thierry Henry, Patrick Vieira regardaient avec étonnement leur entraîneur qui parlait une langue dont ils ne connaissaient pas les sonorités. Patrick Vieira était loin d’imaginer qu’une vingtaine d’années plus tard, il serait entraîneur du Racing Club de Strasbourg.

 

Et, en 2002, Arsène Wenger ignorait encore que son nom serait inscrit en 2007 dans le cosmos par l’astronome britannique, Ian P. Griffin, qui a baptisé (33179) Arsènewenger un astéroïde qu’il a découvert, en hommage à tous les titres que notre gentleman de Duttlenheim a apportés à Arsenal, son club de cœur.

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