Alsace – Emmanuelle de Boysson, cœur d’Alsacienne

Son cœur s’est arrêté. Elle écrit dans son dernier roman Un coup au cœur : Je suis morte le 7 février 2022. Puis, Emmanuelle de Boysson a vécu une expérience de mort imminente (EMI) qu’elle raconte dans un texte à la fois doux, poétique, tendre et glaçant. C’est là toute la force de ce livre. Née à Mulhouse, elle vit à Paris, elle est journaliste et romancière. Cofondatrice de plusieurs prix littéraires dont celui de la Closerie des Lilas, elle est l’autrice de quelques essais et d’une douzaine de romans : Les Grandes Bourgeoises (Lattès, 2006), Les Années Solex et Que tout soit à la joie, (Héloïse d’Ormesson, 2017 et 2019) ou June (Calmann-Lévy, 2022). Elle présentera Un coup au cœur (Calmann-Lévy) à la Foire du livre de Saint-Louis du 19 au 21 avril.

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©Eric Genetet
Dans votre roman, il y a cette phrase « Si je n’écris pas, ce que j’ai vécu n’existe pas ». Après votre infarctus, logiquement, l’envie d’écrire est venue assez vite ?

Depuis très longtemps j’ai besoin d’écrire tout ce que je vis. J’ai commencé très jeune avec mon journal. C’était mon champ de liberté, mon espace d’apprentissage, je le tiens toujours et j’y pioche mes idées de roman. Écrire Un coup au cœur était une manière de garder une trace, et une manière de prouver que tout allait bien, parce qu’il y a eu des doutes. Je vais très bien, mieux qu’avant, je n’ai pas une seule séquelle. Mon cœur s’est arrêté une demi-heure, je fais partie des 0,5 % qui, dans ce cas, s’en sortent. J’avais absolument besoin de raconter mon expérience.

Vous avez vécu ce que l’on nomme une expérience de mort imminente !

Oui, ce voyage est tellement vrai, avec des sensations si fortes. J’y suis vraiment allée. Il y a eu la sortie du corps, je suis allée dans des endroits de l’hôpital, des endroits cachés, j’ai assisté à des réunions, comme si j’étais un cameraman qui filmait, dans des lieux incroyables, des scènes cocasses, parfois coquines. Il y a eu aussi la vision de mon père en Alsace, dans les Vosges où l’on allait beaucoup se promener quand j’étais petite, comme des hallucinations. Et puis, il y a eu ces moments terribles de diktats de l’écriture, alors que j’étais attachée, entubée, dans le coma, où je me disais qu’il fallait absolument écrire, faire un roman là maintenant, c’était l’horreur, un véritable cauchemar pendant des heures. Ces moments-là n’étaient pas forcément l’expérience de mort imminente, c’était des approches de la mort. J’ai fait un voyage lorsque mon esprit s’est échappé de mon corps, qu’il a ouvert cette petite porte de côté, comme si la mort c’était ça, passer par une petite porte de côté. Je suis arrivée dans un endroit qui ressemble un peu à une terrasse italienne, avec la sensation de n’avoir jamais été aussi heureuse, et jeune, j’avais 17 ans, j’étais légère, dégagée de la gravité. J’ai été morte, j’y suis allée. Maintenant, je ne crains plus la mort.

Revenons sur l’Alsace, où vous avez vécu et que vous avez revue pendant votre voyage. Vous décrivez ces moments où vous planez vers les ballons des Vosges… Vous parlez aussi de la rue Élisabeth à Mulhouse !

J’ai vécu ma petite enfance en Alsace, à Wesserling dans la Vallée de Thann où vivaient mes parents et mes grands-parents. Mon père s’occupait de l’usine textile de son propre père, ma mère était très engagée en politique, et auprès des travailleurs immigrés, c’était une femme très généreuse. Ensuite, mes parents se sont installés à Mulhouse dans un pavillon à côté de la gare, je suis allée à l’école Sainte-Ursule jusqu’à mes 6 ans, et nous sommes partis au Maroc pendant quelques années avant de revenir à Mulhouse, rue Elisabeth, où je suis restée jusqu’à l’âge de 17 ans. C’était mon adolescence, les années Solex (référence à son roman paru en 2017), j’ai été au lycée Montaigne, au lycée Schweitzer.

C’est un livre gorgé de tendresse. La tendresse pour les humains qui vous entourent et d’amour aussi, pour votre héros, votre compagnon qui vous a sauvé la vie en vous faisant un massage cardiaque pendant une demi-heure alors qu’il pensait que c’était fini. C’est votre héros, Anton dans votre livre. Comment le regardez-vous désormais ?

Je sais que je lui dois la vie. On en parle souvent et j’aime son humour. Lorsque je me plains, il me lance : écoute, si j’avais su, je n’aurais pas mis autant d’entrain à te « ressuscitayer », et là je me dis que je n’ai pas le droit de me plaindre. Notre relation était déjà très belle, elle le reste, mais je suis plus apaisée, moins stressée. J’ai un chemin à faire, je vais vers une certaine sagesse, c’est l’effet paradis. Cet effet va durer longtemps.

Je repense à cette phrase dans votre livre, vous êtes en train de vivre l’expérience de mort imminente, vous écrivez : « Pour rester sur cette bonne vieille planète, il va falloir me prouver que la vie d’ici vaut mieux que celle de là-bas », vous pouvez nous l’expliquer ?

En fait, ce livre c’est une lutte pour la vie. Il y a eu le coma, il y a eu l’après, j’étais quand même fragile et effectivement j’ai eu cette tentation de retourner là-haut. Mais j’ai lutté.

Vous avez beaucoup lu sur la vie après la mort, sur cette expérience de mort imminente ?

Oui, cela m’a beaucoup apaisée de savoir que tant d’autres ont vécu la même chose.

Vous écrivez que la vie vous a fait le cadeau d’une deuxième vie. Vous auriez pu mourir au même âge que votre père et votre mère, en fait vous avez échappé à votre destin ?

Oui, ça, c’est très fort. On me dit que je vais vivre très vieille maintenant, alors que dans ma famille tout le monde meurt jeune. Je suis contente de me dire cela. Dans cet endroit, dans ce voyage, il y avait tellement d’amour, de paix, de joie… Je n’ai pas oublié que j’ai été heureuse, comme pendant l’enfance. J’essaye de garder ça, car c’est dans l’enfance que je puise ma force.