Carlos Bejarano – Les destins

Carlos Bejarano est né à Mulhouse de parents espagnols. Touché par l’histoire des malgré-nous racontée par son instituteur de CM2, il a toujours eu envie de partager l’histoire de l’Alsace. Avocat spécialiste en droit du Numérique, il est également auteur de pièces de théâtre dont la très remarquée Qui es-tu Spinoza ? Les Annexés est son premier roman (Sortie le 11 avril).

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Votre livre commence au moment où l’Alsace va devenir allemande, c’est l’histoire de trois frères qui vont faire trois choix différents. Pourquoi avez-vous écrit cette histoire-là précisément ?

Permettez-moi de vous parler de moi d’abord. Je suis né à Mulhouse, de parents espagnols, j’ai eu un titre de séjour jusqu’à l’âge de 18 ans puis j’ai été naturalisé sans faire de démarche particulière. Ça me convenait, car c’était une évidence que j’étais Français. J’avais à cœur de raconter l’histoire de mon Alsace. J’avais vraiment envie d’aller au cœur, au cœur de la république, en fait. Je me qualifie comme un enfant de la république. Pour être complet, je dois évoquer la rencontre de mon instituteur de CM2, Monsieur Peter, qui avait été Malgré nous et interné dans un camp en Russie. Sans lui, et ce qu’il a déclenché en moi, je n’aurais pas écrit ce livre.

Ce désir de France, de République, il est né en CM2 avec ce prof ?

Oui, je crois, cet instituteur a incarné une figure. Mon père spirituel. Je me souviens de ses cours d’instruction civique. Il m’a fait découvrir l’histoire meurtrie de l’Alsace. Même si j’ai quitté la région il y a 30 ans, j’ai toujours senti cette blessure chez les Alsaciens, ce sentiment que certains expriment d’avoir été abandonnés. L’histoire de 1870 fait écho en moi, à mon histoire familiale ; il y a la notion de déracinement. C’est le point de départ des annexés. Je me suis dit, il y a donc des familles qui habitent une région depuis toujours et qui ont le sentiment d’être étrangères sans avoir quitté leur territoire. Ce qui se passe en ce moment en France et qui me rend triste entre en résonance avec ce livre. L’intégration par le biais de l’école, c’est une évidence pour moi, depuis toujours, depuis Monsieur Peter.

Dans ce livre, vous collez au plus près de l’histoire de l’Alsace, et de cette période à partir de 1870 !

Oui, j’ai veillé à respecter scrupuleusement ce qui s’est passé à cette époque, cette histoire de l’Alsace, de la France, de Strasbourg devenue allemande.
Les trois personnages, les trois frères, sont totalement des personnages de fiction même s’ils évoluent au gré de la grande histoire, et en subissent les conséquences, mon livre est un roman. Trois frères, qui vont faire trois choix différents (voir le résumé des Annexés ci-contre), ce qui va faire exploser la famille ! Imaginez ce qui s’est passé en Alsace à ce moment-là ! Quelle déflagration. En 1870, 1871 plus précisément par le traité de Francfort, tous les Alsaciens ont eu à faire ce choix : soit ils restaient et ils devenaient allemands, soit ils partaient ce que les Alsaciens ont appelé plus tard vers l’intérieur (La France), soit ils partaient très loin (les nouvelles colonies conquises, l’Algérie, l’Indochine). J’insiste sur le fait qu’à ce moment-là les gens qui restaient devenaient Allemands. J’avais aussi envie de faire découvrir l’histoire de l’Alsace, parce que finalement les gens pensent qu’ils la connaissent, mais quand j’en parle autour de moi, très peu savent ce qu’était 1870.

Les Annexés, trois frères, trois destins. / ©L’Harmattan
Au-delà de l’aspect historique du roman, les sentiments sont très présents ?

Oui, l’Homme est un animal amoureux, ce n’est pas parce qu’il vit l’horrible, l’indicible, que les sentiments disparaissent. L’amour existe par-dessus tout.

Est-ce l’instinct de survie qui fait que, quelles que soient les situations, les êtres humains cherchent et parfois trouvent l’amour, même si c’est une quête difficile, même quand on n’est pas en temps de guerre ?

(Rire) Sur ce plan aussi, les trois frères sont totalement différents dans leur façon de vivre l’amour. Je crois que le titre Les annexés, trois frères, trois destins exprime ce qu’est ce roman.

Pourquoi écrivez-vous ?

Désolé, je vais répondre banalement, parce que j’ai ça en moi depuis toujours. Jeune avocat, j’ai créé pas mal de jurisprudences. J’ai cherché, dans ma façon d’exercer, à exprimer cette créativité que j’ai en moi, mais il n’est pas très difficile de comprendre que la limite arrive rapidement puisque c’est un juge qui décide et que de toute façon on est encadré par la loi ! J’ai essayé de jouer un peu au théâtre (dans la troupe du barreau de Paris), mais le seul moyen que j’ai trouvé pour exprimer ma créativité c’est l’écriture. Depuis tout petit, j’ai besoin de raconter des histoires, je crois que j’ai écrit ma première pièce de théâtre en CE1.

Avec ce roman, que défend l’avocat que vous êtes ?

Ad Vocare, (Avocat) parler pour. Je parle pour tous ces Alsaciens qui ont souffert, tous ces êtres humains qui ont été déracinés ou qui ont vécu les conséquences d’un conflit armé. Je défends la liberté. La liberté de choix et de penser. Je me souviens que très jeune mon rêve n’était pas de devenir riche ou célèbre, mon plus grand désir était de rester un homme libre, ce n’est évidemment pas facile, mais je m’y emploie.


 

Résumé des Annexés

11 mai 1871, Adolphe Thiers livre l’Alsace et la Lorraine aux griffes de l’aigle allemand. Trois jeunes frères s’interrogent. Peuvent-ils abandonner l’Alsace et tout reconstruire dans un ailleurs incertain ? Doivent-ils rester, se soumettre et accepter de devenir Allemands ? Les Annexés est l’histoire de ces trois destins.