Ces perruches qui n’en sont pas

Les perruches végétales me ramènent à l’enfance. Elles poussaient en certains jardins du village. Fin août, lorsque j’achetais de la bière et de la limonade au bistrot, je les voyais sur le comptoir, alignées à s’abreuver autour d’un verre d’eau.

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Une famille de perruches s’abreuvant autour d’un verre : une image de fin août. / ©S.Morgenthaler

Ces formes d’oiseaux sont en fait des fruits qui proviennent de l’herbe aux perruches. Elle est aussi appelée plante à perruches, asclépiade cornue, ou asclépiade de Syrie.

Ma passion pour ces perruches avait de multiples sources : j’adorais leur couleur vert clair, leur texture mate et leur dos rainuré. Je me demandais comment elles pouvaient naître d’une plante. Nous n’en avions pas au jardin et cette privation ne faisait qu’exacerber mon intérêt. Aussi, après la mort de mes parents, une fois maître du jardin, j’ai décidé d’en faire pousser pour revivre cette image aimée des perruches perchées au bord d’un verre, vers la fin août, alors que le sac d’école était prêt pour la rentrée.

La famille prête à lâcher ses graines. / ©S.Morgenthaler

En planter, certes, mais où en trouver ? Car, entre-temps, ces perruches étaient tombées en désuétude et elles avaient déserté les jardins.

En menant l’enquête, j’ai constaté qu’on pouvait en trouver par correspondance. J’ai passé commande dans une jardinerie du nord de la France. C’était il y a une vingtaine d’années. Les trois plants, des drageons dénudés, me furent livrés à l’automne. Je les ai plantés et, au printemps, je n’ai rien vu venir : les perruches avaient eu raison de mes illusions.

Les graines sont des pastilles noires dotées d’une aigrette soyeuse. / ©S.Morgenthaler

Mais la nature revêt des mystères et des ressources inespérés. Deux années plus tard, alors que je n’attendais rien, j’ai vu apparaître, en maints emplacements du jardin, des feuilles ovales qui ne m’étaient pas familières. Les tiges sont sorties du sol, jusqu’à une hauteur d’un mètre. Elles ont fait éclore des ombelles rose pâle que les abeilles butinaient infatigablement. J’ai vu, ébahie, les ombelles se transformer en forme vert pâle qui, à n’en pas douter, ressemblaient à des oiseaux accrochés à l’envers, reliés à la plante mère par une tige qui sera leur bec. Les perruches végétales avaient colonisé le jardin.

Quelle émotion de couper les premières au bas du bec et de les pincer autour de verres d’eau ! Elles n’ont laissé indifférent aucun de mes visiteurs. Ces fruits, en fait des follicules, rappellent réellement des oiseaux. Il m’arrivait d’en composer des familles, du plus grand au plus petit. Comme ils sont trognons, me disait-on.

La fleur au printemps : une ombelle rose qui attire les abeilles. / ©S.Morgenthaler

Au bout de quelques semaines, les perruches vous étonneront : leur arête centrale du dos s’ouvre. Vient alors un spectacle étonnant : des dizaines de graines brunes en forme de pastilles s’en échappent, dont chacune est équipée d’une aigrette blanche qui rappelle un petit parachute duveteux, très soyeux, qui permet à la graine de s’envoler. La nature, toujours géniale, a ainsi prévu les choses pour que le vent dissémine plus aisément les graines. Si vous les oubliez dans votre intérieur, vous aurez ce spectacle insolite d’aigrettes qui volent au moindre souffle. J’avais eu du mal à faire pousser les perruches, mais une fois acclimatées, elles devinrent invasives. C’est bien leur inconvénient :
il est difficile de contrôler leurs naissances.

Vous aurez aussi la surprise, en les cueillant, d’un latex blanchâtre qui coule sur vos mains dès que vous les sectionnez. Ce latex est toxique pour les animaux. Il pourrait aussi donner des allergies aux personnes sensibles. Ce qui ne m’est jamais arrivé.

Des perruches végétales, tête en bas, telles qu’on les voit sur leur plant en juillet. / ©S.Morgenthaler

C’est pour ce latex que les Québécois nomment ces plantes « milkseed » (c’est-à-dire herbe de lait). Là-bas, ces herbes aux perruches poussent à l’état sauvage. On leur reconnaît un rôle écologique important : les chenilles des papillons monarques ne se nourrissent que de ces arbres à perruches. Et le parfum miellé de leurs ombelles roses attire une foule de pollinisateurs, même des insectes prédateurs utiles au jardin.

Au fil des années, mes évocations de ces perruches ont suscité de nombreuses réactions sur mon site et sur les réseaux sociaux. D’Alsace, et d’autres régions de France, vous m’avez écrit combien vous aimiez ces perruches, combien elles vous rappelaient une grand-mère, un grand-père, une maman, etc. Je fus étonnée par l’avalanche de réactions qu’engendrèrent ces « fausses » perruches. Des hommes, des femmes, de toutes régions, de pays divers, m’y contèrent leur attachement à ces plantes, me rappelant qu’elles étaient un ancrage d’enfance et une image forte interceptée dans des jardins à la sortie de l’école.

À maturité, le dos se fend et les graines munies d’une aigrette s’en échappent. / ©S.Morgenthaler

Je me souviens de l’anecdote que me rapporta Nicole. Ses parents, fleuristes, tenaient autrefois une boutique située rue du Dôme à Strasbourg. Elle m’écrivit qu’à partir du mois d’août, ils avaient toujours une corbeille remplie de perruches végétales qu’ils offraient aux clients. Une perruche pour un bouquet acheté : voilà un geste charmant que l’on pourrait réactiver.

Belle rentrée !