Comment raconter en Alsace la mort du Général De Gaulle.

Notre chroniqueur Ambroise Perrin nous propose pour cette rentrée une série qu'il intitule « Ce jour-là (en Alsace !) j'étais là... ». Chaque semaine une intrépide plongée littéraire dans des textes qui jalonnent l'identité de notre région. Cela commence toujours par une date précise pour raconter, avec un peu de dérision, une petite histoire. La littérature ayant le privilège de ne pas vérifier si tout est vrai, il reste l'essentiel, amuser les lecteurs de Maxi Flash.

0
224

Le 10 novembre 1970, un jeune journaliste qui vient de prendre un poste à Strasbourg donne le biberon à son petit Christian, puis allume la radio. De Gaulle est mort. Je suis son voisin de palier au 5e étage place d’Austerlitz, il sonne précipitamment à la porte et me demande « Ambroise, tu sais changer des langes, voilà Christian ». Et Jean-Louis English fonce aux Dernières Nouvelles d’Alsace.

Les journalistes à la rédaction sont pétrifiés ; ils ont vécu le RAD, le travail obligatoire, l’incorporation de force et la délivrance par le Libérateur. L’heure est tragique, la Une du journal se fera avec d’énormes caractères en bois, bien plus épais que ceux en plomb. De Gaulle et l’Alsace, pour les journalistes des deux départements, c’est une histoire personnelle, au-delà de l’analyse politique. Et il y a là des étudiants du CUEJ, l’école de journalisme, ceux qui avaient manifesté contre le général en mai 68, fort émus, ils sont maintenant en stage au journal. Tous cherchent des angles originaux pour raconter De Gaulle et l’Alsace.

Jean-Louis English fonce avec un photographe, Roger Waydelich, à Wangenbourg, sonner à la porte de François Rèbre, au 5 rue du Nideck. C’est là, près des mystérieuses forêts du Dabo, que le colonel De Gaulle a séjourné, dans cette maison en face de l’église. Le soldat chez l’habitant, en occupation, d’août 1939 à mai 1940. François Rèbre est lui aussi un ancien combattant de la Première Guerre mondiale, il était à Verdun, mais sous l’uniforme allemand. Jean-Louis English interviewe le sympathique Alsacien, sait-il que le 2 mars 1916 le capitaine De Gaulle avait été fait prisonnier à Douaumont ? Uniforme allemand, uniforme français, sous le même toit, de quoi parlaient-ils ?

English tient son papier ! Eh bien De Gaulle voulait tout savoir de la stratégie allemande, cela lui permettait de comprendre les méthodes et les tactiques de la Wehrmacht. Le journaliste demande à utiliser le téléphone, et avant de dicter son article à la sténo au journal, il m’appelle, « allô Ambroise, ça va avec Christian, il ne pleure pas ? – Il est formidable, je lui chante des chansons en alsacien, il adore ». Les DNA titreront le lendemain « La France pleure le Général De Gaulle ».

Une certaine idée de l’Alsace, Jean-Louis English, La Nuée Bleue, 2003

Ambroise Perrin