Guy Untereiner – Du papier au tissu, l’intemporelle Alsace

Avant de parcourir le monde pour ses expositions et de travailler pour les plus grandes maisons, l’artiste illustrateur et peintre de Siewiller a connu un parcours professionnel atypique. Rencontre avec un fervent amoureux de la région, dans son atelier de Drulingen.

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Rencontre avec Guy Untereiner dans son atelier de Drulingen. / ©DR
L’art vous passionne depuis toujours, mais ce n’était pas un chemin tout tracé !

Guy Untereiner : Mes parents étant boulangers, j’ai inévitablement suivi la même route qu’eux et fait un apprentissage de pâtissier à Strasbourg chez Naegel. Ce n’était pas fait pour moi, je voulais dessiner, mais il me fallait une opportunité pour me lancer.

À vingt ans, vous avez entamé une formation de mode et même obtenu un stage aux côtés du célèbre créateur alsacien Thierry Mugler.

GU : J’ai adoré cette époque, la vie culturelle à Paris est si exceptionnelle, on a l’embarras du choix là-bas quand il s’agit de sorties, que ce soit pour le théâtre ou les expositions. D’ailleurs, beaucoup de Parisiens n’en profitent même plus, ce sont les provinciaux qui s’émerveillent. Mais la mode n’était toujours pas le bon univers pour que je m’épanouisse alors je suis revenu en Alsace et j’ai « jobiné » jusqu’à faire de la plonge au prestigieux restaurant étoilé de Phalsbourg, Au Soldat de l’An II. Un jour, j’ai montré mes dessins au chef, Georges Victor Schmitt, et il m’a vivement encouragé à exposer. C’est ainsi que j’ai vraiment commencé. J’ai d’abord été repéré par une galeriste de Mulhouse, puis par une cliente qui m’a permis d’arriver jusqu’à la Manufacture d’impression sur étoffes de Ribeauvillé.

Vos dessins s’exportent partout et sur une multitude de supports, avec toujours comme thématique principale : l’Alsace. Pourquoi ?

GU : J’aime ma région, c’est une source d’inspiration inépuisable, de ses paysages en passant par le kelsch ou les imprimés de Mulhouse. Alors, pourquoi en rester au papier quand mes créations peuvent vivre sur d’autres matières ? C’était un nouveau challenge et j’ai une affinité toute particulière pour le tissu. J’ai été créateur pour la maison Beauvillé et mon linge de maison se vend toujours aussi bien, même si les dessins ont trente ans, ils n’ont pas vieilli, c’est un indémodable. Mes motifs peuvent aussi bien aller sur une boîte de biscuits, une poterie, du cristal, des livres ou des cartes postales. Toutes ces créations m’ont permis de vivre de mon art et de voyager, de Londres au Japon – que j’ai adoré – mais j’avais toujours envie de rentrer en Alsace.

Je ne vais pas dessiner des pommes et des poires toute ma vie parce que ça cartonne.

En parallèle de vos créations 100% made in Elsass, vous avez une autre facette d’artiste à dévoiler à nos lecteurs, non ?

GU : Quand on crée, il faut toujours savoir se renouveler, il ne faut pas rester figé. Je ne vais pas dessiner des pommes et des poires toute ma vie parce que ça cartonne. Alors je réalise aussi une série de portraits plus intimes, plus drôles, ironiques même ! Ça m’a fait sortir de ma zone de confort et j’y prends beaucoup de plaisir ! Je fais du collage, ça n’a plus rien à voir avec ce que je fais habituellement. Un couple d’Anglais avec en fond le journal londonien, un «boubou Vuitonné», et puis toujours ces grandes lunettes comme Iris Apfel. C’est une entrepreneuse américaine, une icône de la mode que j’ai découverte dans un reportage, elle est centenaire et fascinante. Comme j’adore son style, il y a ainsi un petit peu d’elle sur tous mes personnages.

Traits de crayons, coups de pinceau et collage de journaux, mais quelle est votre création de prédilection ?

GU : Celle qui m’a suivi de mes débuts à aujourd’hui : la carte postale. J’ai dessiné une série qui se décline en toutes sortes de thèmes de la vie quotidienne et de la culture alsacienne. Elles se retrouvent un petit peu partout. Ces créations sont une ressource inépuisable et c’est ma plus grande fierté. J’en ai vendu des milliers, elles ont fait le tour du monde, une connaissance néphrologue a même reçu une de mes cartes à Tahiti. Ça me touche, c’est un petit bout de moi, un petit bout de l’Alsace.

Le « boubou Vuitonné » par Guy Untereiner. / ©DR
Pensez-vous que ce support a de l’avenir dans un monde où tout s’oriente vers le numérique et le virtuel ?

GU : Toujours ! Vous êtes quelque part, vous en voyez une en vitrine qui représente l’endroit où vous êtes, ça ne coûte pas cher, ça vous plaît, vous l’achetez, vous ne posez pas de question. Que ce soit pour l’encadrer ou l’envoyer, à chacun de faire à son souhait, c’est un souvenir qu’on peut garder pour soi. Je suis très mauvais photographe, mes photos sont nulles, vraiment, alors quand je voyage, les cartes me permettent de repartir avec un morceau de l’endroit où j’étais. Selon moi, elles ont encore de l’avenir malgré internet, je le constate, car j’en vends toujours des milliers chaque année !

J’aime ma région, c’est une source d’inspiration inépuisable

Un artiste peut-il un jour s’arrêter et prendre sa retraite ?

GU : Il n’y a pas de retraite quand on est artiste parce que ce n’est pas un métier, mais une passion. Je l’entretiendrai jusqu’à la fin de mes jours, c’est ma vie, et dans la vie, il faut faire ce qu’on aime, c’est ma devise, il faut oser prendre le risque, moi je l’ai pris. En revanche ces dernières années, j’ai des soucis de santé, alors j’effectue un travail d’acceptation sur moi-même parce que ma vue s’est beaucoup dégradée. Je trouve des solutions : je ne peux plus conduire, alors je viens à vélo, je ne vois pas clair alors j’achète une loupe pour agrandir mes traits. Jamais je ne m’arrêterai.


 

©DR

C’est une maison bleue…

GU : Mais celle-ci n’est pas adossée à la colline ! Elle est à Drulingen et c’est l’atelier de l’artiste depuis 11 ans. Une petite bicoque à colombages, dans laquelle ce grand monsieur s’installe pour travailler tous les jours. Repeinte en bleu, il la décore de ses créations. « C’est mon antre. J’ai mis beaucoup de temps à trouver le repaire qui me correspondait, cette bâtisse a une âme, je pense qu’elle m’attendait, ou nous nous attendions ». La maison est une véritable caverne d’Ali Baba, des milliers de créations y sont entreposées, entre pinceaux, coupures de journaux et bibelots. Il y a même une petite boutique dans laquelle il vend un échantillon de ses produits. Infos et travaux à retrouver sur son site : www.guyuntereiner.fr