Huguette Dreikaus fait le ménage

Dans son habituelle robe longue, Huguette Dreikaus a reçu Maxi Flash dans sa cuisine, la pièce à vivre de sa maison haguenovienne. Tandis qu’une cocotte mijote sur le feu et attend impatiemment ses petits-enfants, l’humoriste originaire de Dauendorf donne de ses nouvelles avec le franc-parler et le regard malicieux qu’on lui connaît, entourée de ses trois chats. À 74 ans, l’annonce de sa maladie a changé sa vie, mais pas son humour.

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Huguette Dreikaus contemple la vie dans son beau jardin. / ©SB
Comment allez-vous depuis le diagnostic ?

Huguette Dreikaus : La vie a pris un tournant : depuis 18 mois, elle s’organise autrement, avec d’autres critères et d’autres attentes. J’ai un cancer, je suis sous chimiothérapie avec des comprimés, donc j’ai un rythme de vie orchestré par les contrôles, les analyses de sang, les IRM, les visites chez l’oncologue… Je suis entrée dans un monde qui m’était inconnu. J’ai eu la même impression que le jour où on m’a posé des implants pour la cataracte : le blanc est redevenu blanc et le bleu, bleu. Bizarrement depuis ce diagnostic, les lumières de ma vie sont plus vives et les choses importantes éclairées autrement.

C’est-à-dire, qu’est-ce qui est important ?

Huguette Dreikaus : J’ai fait le ménage dans les gens qui m’entourent. Je me suis rendu compte qu’il y avait deux mondes, celui des réseaux sociaux et le monde réel, et j’ai beaucoup trop accroché mon cœur à des amitiés virtuelles sur Facebook. Je n’ai plus de sentiments qui traversent les cadres bleus, parce que ce n’est que de l’écriture. Je sais qui sont mes vrais amis, je les ai rencontrés. Ma porte est toujours ouverte, je sors peu, et les gens que j’ai rencontrés, c’est le test, ça passe ou ça casse.

Des milliers de poupées anciennes peuplent son grenier. / ©SB
Vous avez l’air heureuse dans cette maison de Haguenau et vous avez un magnifique jardin !

Huguette Dreikaus : Haguenau me va bien, mes enfants et mes six petits-enfants ne sont pas loin. Je vis au rez-de-chaussée et comme je fais tout en ambulatoire, les soins se passent ici, toujours à la maison avec mes chats. J’ai beaucoup de chance, le jardin me permet une vie contemplative, je respecte plus la vie. Je ne tue plus les mouches, je les mets dehors. Il y a juste un animal que je déteste, c’est le héron parce qu’il vient pêcher mes poissons. Je suis une anti-héron, et je vais essayer la casserole puisque c’est le nouvel instrument de révolution ! J’ai un amour immodéré pour les hortensias qui sont comme moi, depuis deux ans en souffrance à cause de la canicule. Ils ont de ma part un traitement de chimio, je fais attention à eux, qu’ils aient de l’eau, de l’ombre et que les limaces ne les mangent pas. J’ai de l’espoir, car j’ai sauvé mes deux buis de la pyrale : je prends des pièges à mâles avec des phéromones, on pourrait faire de même pour les hommes qui attaquent les femmes non ? (sourire)

Avec le verve et l’énergie qu’on vous connaît sur scène, avez-vous eu la même détermination contre la maladie ?

Huguette Dreikaus : Oui, je n’ai pas cessé de faire mes deux chroniques, en épluchant l’actualité du jour pour en tirer la substantifique moelle. J’ai été hospitalisée huit jours pendant lesquels France bleu Elsass a fait de la rediffusion. Quand j’ai repris, ça a été très difficile de monter au studio parce que je n’avais plus de souffle, donc je montais mon escalier comme un sommet de l’Himalaya, avec des étapes, mais sans sherpa ! Et j’ai dit : j’y arriverai.

Votre regard sur l’actualité a-t-il changé ?

Huguette Dreikaus : Le regard est toujours aussi acerbe et taquin, sans méchanceté, puisque je me suis toujours posé comme principe dans ma carrière d’humoriste de ne jamais viser la personne. Moi je pense aux enfants, houspillés à l’école, à une maman qui peut avoir le cœur brisé, un mari ou une femme qui prend les dommages collatéraux. Ce qui m’intéresse, c’est la société, ce qu’elle devient.

Vous avez même donné un spectacle pendant votre traitement…

Huguette Dreikaus : Oui, c’était en mai 2022 à Ottrott. C’était difficile. Mon petit-fils Jean m’avait emmenée jusqu’à l’entrée, j’avais trois marches à monter jusqu’à la loge et j’avais demandé que sur scène, il y ait un Voltaire pour poser ma tête et que le rideau soit fermé pour que je puisse me mettre en place 15 min avant. Ça s’est finalement très bien passé, et je peux dire que je suis la reine du sit-up ! (rire)

L’envie de remonter sur scène est-elle toujours présente ?

Huguette Dreikaus : Plus on tarde, moins on a confiance en ses textes. Ça me rappelle l’époque où on faisait des sketches à la télé et pour trois sketches de 2 min, il fallait 10 heures, et très souvent au bout de la vingtième prise, je ne croyais plus en mes textes, ils ne me semblaient plus drôles. J’ai d’autant plus la trouille quand je vois l’humour qui évolue, les Tik Tok, quelle horreur et ils ont des millions de vues ! Je ne vais pas me rabaisser à ça. Même à Montreux, ils n’ont plus de chute, ils disent « c’est fini, je m’en vais, au revoir », normalement il y a un feu d’artifice final ! Jouer simplement les personnages de la vie réelle, c’est une imitation, se moquer, il n’y a pas de création : c’est du rire primaire, est-ce que moi j’ai encore une place sur scène avec ça ? Ce côté j’ai tant de spectateurs, de vues, de followers, cet humour chiffré, ce n’est pas ma tasse de thé !

Mais cette envie vous titille toujours ?

Huguette Dreikaus : Oui. J’aimerais bien faire les salles de village, parce que c’est mon monde.

Votre quotidien est donc bien rempli…

Huguette Dreikaus : Je lis beaucoup de choses, je me suis abonnée à des journaux, français, allemands, anglais, j’adore parcourir le monde. Je suis en train d’écrire un livre sur les objets qui ont peuplé ma vie, peut-être qu’il ne sera pas publié, mais je l’écris pour moi, c’est une maison d’édition qui s’appelle Mon tiroir (sourire). J’ai besoin d’écrire tout ça, tous les objets qui ont été importants, comme les poupées (lire encadré). Et comme je suis boulimique, j’ai une collection de collections ! Sinon, je suis sereine, je ne m’ennuie de rien, les gens fastidieux, je les vire. Et quand on me demande comment je vais, je dis : « Pas pire pour le moment ».


 

Une collection de poupées « vivante, qui prend la poussière »

« Les poupées, pour moi, c’est devenu, quand j’avais 40 ans, des objets transitionnels. Mes enfants quittaient le foyer, j’ai donc peuplé mon univers de nombreuses et diverses poupées ». Une collection commencée avec son mari, qui s’était accaparé sa passion « par amour ». Huguette se remémore les sorties du dimanche matin aux marchés aux puces et
« les bagarres devant les portes fermées chez Emmaüs, j’étais la première devant la grille et je fonçais. Un jour j’ai failli commencer la troisième guerre mondiale avec une Allemande qui voulait le Mickey que j’avais vu ! J’étais le Poutine d’Emmaüs à l’époque ».

Au-delà de leur valeur marchande— la plus ancienne est de 1890, il existe des catalogues pour les prix—, c’est « toute cette recherche, ce Graal, le fait que j’ai retrouvé mon enfance, rencontré des gens devenus des amis, acquis des connaissances sur les poupées en celluloïd » qui font l’intérêt de sa collection. Comme dans un musée du jouet, Huguette a imaginé la mise en scène sur des estrades, sa fille a fait la maison de poupées la plus récente, et une armoire alsacienne a été customisée. « On pourrait faire un musée, mais ce que je ne supporte pas ce sont les vitres partout. Chez moi c’est vivant, ça prend la poussière. J’ai une aide-ménagère qui les nettoie, elle les met en beauté, j’ai quelqu’un d’exceptionnel. D’ailleurs, je lui ai dit que j’allais l’épouser, comme elle est veuve, c’est possible ! »