La vie mouvementée du premier évêque constitutionnel de Colmar

Notre chroniqueur Ambroise Perrin nous propose pour cette rentrée une série qu'il intitule « Ce jour-là (en Alsace !) j'étais là... ». Chaque semaine une intrépide plongée littéraire dans des textes qui jalonnent l'identité de notre région. Cela commence toujours par une date précise pour raconter, avec un peu de dérision, une petite histoire. La littérature ayant le privilège de ne pas vérifier si tout est vrai, il reste l'essentiel, amuser les lecteurs de Maxi Flash.

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Le 12 juillet 1790, l’Assemblée nationale ordonne par décret l’érection canonique d’un évêché dans chaque département. Je siège au directoire de Colmar et j’envoie une « adresse » pour que le procureur du district convoque les électeurs le 6 mars suivant en l’église de Saint-Martin, pour qu’à l’issue de la messe paroissiale qui sera chantée, on procède à un vote pour choisir l’évêque constitutionnel du département du Haut-Rhin.

Je précise que le futur élu devra faire preuve de patriotisme, montrer des marques de piété et sa conduite prouvera aux peuples qu’il est aussi inviolablement attaché aux lois de la religion qu’à celles de la patrie. Le vote tombe le jour du carnaval, mais tout se passe dans le plus grand ordre. Gobel, le coadjuteur du Prince-Évêque de Bâle, réunit 400 suffrages sur 452 votants. Mais j’apprends qu’il s’est aussi présenté à Paris. Et qu’élu, il a choisi la métropole ! Il va donc falloir revoter ! Le choix tomba sur Arbogast Martin, né le 22 avril 1731 à Walbach, près de Turckheim dans la vallée de Munster. Il avait été curé de Guebwiller puis sous-principal du collège royal de Colmar. Celui-là n’allait pas quitter l’Alsace pour Paris ! On chanta le Te Deum et j’avais demandé que l’on sonne toutes les cloches de la ville.

Le sacre eut lieu le 10 avril avec une belle cérémonie aux portes de Colmar ; l’évêque fut accueilli par des « détonations de boîtes », malheureusement un officier de Neuf-Brisach, atteint par un de ces explosifs, fut tué sur le coup. J’avais emprunté des ornements épiscopaux à l’abbaye de Marbach et j’informais l’évêque Martin que son traitement constitutionnel serait de 12 000 livres. Arbogast Martin ne réussit pas à se faire aimer par les Colmariens, il provoqua de graves troubles dans la ville en fermant l’église des Capucins. Et il tenta en vain de fonder un grand séminaire. On sait peu de choses de sa conduite pendant la Terreur…

Die Frühere Macht und Herrschaft der Weiber im Elsass, Joseph Lévy, Alsatia, 1931.

Ambroise Perrin