Nous sommes en 1945, Albert a 15 ans et se distingue déjà par son insoumission, sa veine et son sens de l’humour. Il affirme être le seul enfant de son village, Mietesheim, à avoir échappé à la Hitler Jugend pourtant obligatoire dès 1942 pour les enfants de l’Alsace annexée. Prétextant avec malice un problème cardiaque (médicalement jamais confirmé jusque-là), il se retrouve exempt de pratiques sportives, qu’il effectue malgré tout, mais jamais avec un uniforme sur le dos ! À la fin de la guerre, lorsqu’il revient au village à vélo avant sa famille évacuée, il traverse par deux fois un champ parsemé de mines, la chance insolente en bandoulière ! Ses parents souhaitent qu’il devienne paysan, mais il est loin d’être d’accord.
Un jour ils envoient malgré tout Albert à Pfaffenhoffen où se trouve une école d’agriculture. Le soir, il rentre à la maison en prétendant tout simplement ne pas avoir trouvé l’école! On imagine bien qu’il ne l’a pas vraiment cherchée ! À 17 ans, après deux années à servir dans des fermes environnantes en échange du couvert, il entre en forêt comme on entre en résistance… pour n’en sortir que 43 ans plus tard !
Il avoue que pour un fort caractère comme le sien, trente minutes à fendre du bois, il n’y a pas mieux pour retrouver son calme. Au début de sa carrière, tout se fait à la force des bras, la scie à moteur n’arrive qu’en 1959. En forêt, Albert se sent libre, ce qu’il produit a du sens, c’est du concret : on ne peut pas dire qu’on a coupé vingt stères s’il n’y en a que cinq alignées à la fin de la journée ! Travailler en forêt c’est évoluer avec la nature, c’est lutter contre le froid en hiver et contre les guêpes en été. Et il ne s’agit pas seulement d’abattre des arbres, mais aussi d’en replanter, participant ainsi au cycle sans fin de la vie. Aujourd’hui Albert a remisé sa tronçonneuse, mais il a toujours sa hache pour le cas où il aurait envie de se défouler et de faire renaître des souvenirs.
Line