Le numérique, d’accord, mais pas trop vite

C’est un phénomène tout nouveau qui porte un joli nom : l’illectronisme. Comme l’illettrisme, mais pour tout ce qui touche à l’informatique. Les personnes âgées sont les premières concernées.

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C’est le monde d’après. Celui où tout sera digital, où une empreinte de doigt suffira à payer au restaurant, où une rétine permettra de retirer de l’argent, ou un sourire servira d’identifiant pour se connecter à son compte bancaire. Et ce monde d’après, il a déjà posé ses valises et commence à doucement s’installer, au grand dam de ceux qui n’y pigent pas grand-chose, avec le « mulot » ou avec le doigt.

Joachim Tavares, ancien directeur d’EHPAD, a fait ce constat tout simple : « Les plus de 70 ans ne sont pas du tout habitués à ça ! Au cours de leur parcours professionnel, ils sont assez peu nombreux à avoir été confrontés à l’informatique… ». Le fondateur de PapyHappy, une plateforme d’aide aux seniors pour trouver le logement qui leur conviendra le mieux, pousse un peu plus loin l’analyse. Selon lui, « beaucoup de gens sont aujourd’hui pénalisés. Les assurances, les banques, les impôts… De plus en plus de démarches sont uniquement possibles en ligne, même si des agences existent toujours sur le terrain, mais de moins en moins nombreuses. En ville, ça va encore, mais pour les gens qui sont dans la ruralité, c’est hyper galère pour eux ! »


 

« C’est mon fils qui s’en occupe »

Pour s’en convaincre, on se poste à la sortie de la boulangerie à Weyersheim.

« Bonjour, je fais un article sur le digital…
– Hein ?
– Est-ce que vous suivez vos comptes ou vos impôts sur internet, avec l’ordinateur par exemple… ?
– Houla, ça, c’est mon fils qui s’en occupe, moi je comprends rien ! »

Dans Haguenau, c’est un couple de sexagénaires qui accepte de me répondre derrière les masques. René a 69 ans, et Fabienne 62. Et l’ordi, c’est plutôt son truc à lui.

« Alors ça, les impôts, c’est mon mari !
– Ah ! Vous vous y connaissez un peu alors monsieur ?
– Dans ma carrière, je me suis toujours un peu occupé des logiciels au boulot. Je travaillais dans l’industrie, et j’aimais bien tenir les tableaux des congés, ce genre de choses.
– Et puis il joue encore sur son ordi !
– Ah bon ?! Un gamer !
– Faut pas exagérer, j’ai quelques petits jeux, pas trop rapides, où on prend le temps de réfléchir… ‘Civilisations’, les anciens quoi, pas les trop récents non plus (rires). Mais du coup je reste un peu à la page on va dire. »

Au fil des petits échanges, je me rends compte que l’illectronisme n’est peut-être pas si répandu que ça malgré des appréhensions légitimes. Joachim Tavares confirme : « On n’est pas du tout en retard en France sur ce sujet. On a vu qu’avec le confinement, beaucoup de personnes âgées s’y sont mises. Ma propre mère, pour la première fois, a utilisé Messenger pour discuter ! » Pour la mienne, c’était WhatsApp.

De plus en plus de retraités à aider

Si les EHPAD que nous avons contactés dans le nord du Bas-Rhin ne nous ont pas répondu (pas envie ou pas le temps ?), une chose reste certaine : les maisons de retraite tentent de s’adapter. « Beaucoup d’EHPAD privés ont mis en place des solutions », affirme Joachim Tavares. « Une partie des résidents est déjà habituée à l’ordinateur ou la tablette, mais c’est vrai qu’actuellement on subit tous ce papy-boom avec des gens dont l’informatique… bah c’est pas du tout leur truc ! »

Sur le terrain, Sébastien Koch dresse le même constat. Le consultant informatique chez Mon Assistant Numérique Haguenau relève « une moyenne d’âge de 70 ans » chez ses clients. « Le point sensible, c’est qu’ils ont peur de faire une bêtise, de bloquer l’ordinateur. L’autre aspect, c’est que les enfants ou les petits-enfants ne prennent pas le temps de leur expliquer. Il faut de la patience et de la pédagogie. »

Confirmation avec Danielle, 69 ans, à Gries : « Ma fille m’a changé mon téléphone parce que soi-disant l’autre était trop vieux… Déjà que j’avais mis un temps fou à m’habituer à l’autre. Elle me rend folle !  De quoi je me mêle (rires) ! »

Il faudra pourtant bien accepter de se plier au jeu des applications… Ou de laisser les enfants faire.   


 

Pour vaincre l’illectronisme, que peut-on faire ?

Joachim Tavares : « Il faut déjà rassurer les gens. Ils ont peur de se faire avoir. Ils entendent parler des virus, des piratages… Il faut déjà expliquer que le site de sa banque, c’est sécurisé. Ensuite il faut être au plus proche du territoire, en multipliant les ateliers, parce que les seniors, ils veulent aussi faire eux-mêmes. »


Où trouver des cours d’informatique en Alsace du Nord ?

De nombreuses associations proposent des cours d’informatique pour séniors. C’est par exemple le cas de l’Université Populaire d’Alsace du Nord : Haguenau, Wissembourg ou encore Bischwiller.