La ritournelle apprise à l’école nous revient spontanément à l’esprit lorsqu’apparaît cette plante bulbeuse, qui ressemble au crocus, mais qui compte six étamines, alors que le crocus n’en a que trois.
Les étamines du crocus sont, quant à elles, très aimées, car une variété d’entre eux (nommée crocus sativus) donnent le safran.
Les étamines du colchique sont craintes et détestées, et pour cause : le colchique, parfois nommé «safran bâtard», est toxique. Son poison est violent. Les centres antipoison alertent souvent au printemps sur le danger de confusion entre les feuilles d’ail des ours et celles du colchique.
Les vaches ne s’y trompent pas, qui broutent autour des colchiques, sans jamais l’effleurer du mufle. En français, pour rappeler cette toxicité du colchique, on l’appelle aussi «tue-loup» ou «tue-chien».
En médecine, on extrait du colchique la colchicine, un alcaloïde utilisé pour soigner les inflammations.
La langue de Molière est dépourvue en mots pour désigner cette fleur alors que la langue alsacienne, pourtant bien malmenée depuis la fin de la dernière guerre mondiale, possède 40 façons de la désigner. Alain Kauss, enseignant et auteur du Val de Villé, a réuni ces quarante termes dans un passionnant livre paru dans les années 90, Bliemle, Fleurs en Alsace (BF Éditions).
En voici quelques-uns d’entre eux :
Michelsblüem (fleur de Michel, car elle fleurit vers la Saint Michel située le 29 septembre)
Ohmedblüem (fleur du regain)
Kàtzedìttle (mamelles de chat)
Schüelblüem ou Schüelerbliemel (fleur d’école)
Riffeblüem (fleur du givre)
Herbschtglock (cloche d’automne)
Herbschtlilie (lys d’automne)
Zitlos (intemporelle)
Matteziwel (oignon de prairie)
Bleuiziwel (oignon bleu)
Knowliblüem (fleur d’ail)
Màtteklipfel (maillet de la prairie)
Giftdùtte (sachets de poison)
Hiehnerverreck (crevaison de poules)
Tòdebliemel (petite fleur de la mort)
Küehdùtte (mamelons de vache)
Küehbùbbe (larves de vache)
Vous avez noté que la plupart des désignations ne sont ni poétiques ni bienveillantes. Elles rappellent que cette fleur est dangereuse et famélique.
La croyance populaire la cantonne aussi dans des termes qui font allusion -de façon péjorative- au sexe féminin ou aux testicules des animaux.
Maman, qui les désignait par le terme allemand Herbstzeitlose (intemporelles) les nommait aussi Fülefüte, un terme souvent usité. Mais que signifie-t-il ? Danièle Crévenat-Werner, linguiste, m’a donné son avis :
« Avec sa répétition du «ü», le mot Fülefüte sonne dans la bouche des grands et des petits de façon ludique. Mais ce terme est cru et sans poésie, et ceux qui l’utilisent l’ignorent généralement. Il est difficile de le traduire et il n’y a aucune certitude dans mon interprétation : fül signifie pourri et renvoie donc vers la toxicité du colchique. Füete peut être rapproché de Fùtz ou Fütze qui désigne (de manière crue et péjorative) le sexe féminin. Fülefüete pourrait donc se traduire par vagin pourri.»
Danielle Crevenat-Werner ajoute que le mot füete pourrait aussi être rapproché (sans certitude) de füti, qui signifie foutu, adjectif français dont il est la déformation et qui est couramment utilisé en alsacien (comme d’autres mots français qui ont été alsacianisés durant la période fin 18e et début 19e où l’Alsace fut française, avant l’annexion prussienne de 1871) . Fülefüete pourrait en ce cas se traduire par «pourri-foutu».
Le colchique, qui apporte une image de douceur, doit faire front à un désamour, somme toute justifié.
Avec lui, la vigilance reste de mise : évitez d’en faire un bouquet. Vous ne courrez pas le risque qu’un enfant ou un animal boive l’eau du vase !
Simone Morgenthaler