Les sorcières de Bouxwiller

L'Alsace du Nord regorge de légendes et d'histoires effrayantes. A l'occasion d'Halloween, Christine Fischbach, conteuse régionale professionnelle, nous fait le plaisir de nous conter l'histoire des balais de sorcières de Lichtenberg.

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Saviez-vous que ce sont les femmes de Lichtenberg qui confectionnaient les fameux balais des sorcières et aussi ceux des ménagères : Besestrüppe, Besebinder ? Elles les vendaient sur les marchés.

C’était à l’époque où Jacques de Lichtenberg et sa femme Barbara vivaient au château de Lichtenberg.

Barbara d’Ottenheim, était une roturière devenue amante de Jacques. Il en était fou amoureux : belle, loyale et intelligente, il lui confiat tous ses domaines et ses secrets.

Elle était détestée par tous les gens du pays, car pour financer ses dépenses, elle infligeait le paiement d’impôts exorbitants. Les femmes exaspérées d’être ainsi exploitées la surnommaient « La sorcière ».

La belle Barbara passait beaucoup de temps dans la Ville de Bouxwiller, en compagnie de nobles dames de la cité. Un jour, en l’absence de Jacques, Barbara entra dans son laboratoire. Elle fouilla dans les affaires, trouva un parchemin sur lequel était griffonnée une formule magique posée devant une fiole contenant un liquide verdâtre suspect : une tisane miraculeuse.

Sachant que Jacques ingurgitait régulièrement une mixture soi-disant pour être plus inspiré, elle fit de même, s’emparant de cette fiole, l’avalant d’une traite ! Mais comme son cœur était avide et nourri de mauvaises intentions, elle fut prise de convulsions. Souffrant de milles douleurs, elle s’agrippa à un balai en jurant et vociférant. Et ce dernier s’anima ! Barbara le chevaucha et fit transportée vers les airs, en direction de Bouxwiller.

Elle atterrit dans la maison du meunier et de sa femme Frau Gaudel. Dans ce moulin vivait également Hans l’apprenti-meunier.

Le jeune homme était amoureux de Brigitte, la fille du meunier (qui n’était pas insensible à ses charmes). Dame Gaudel, la meunière, ne supportait pas ses enfantillages. Quant au meunier, il était fier du travail de Hans : pour plaire à sa belle, ce dernier travaillait comme un forcené. Un jour, Hans demanda au meunier la main de sa fille, ce qu’il accepta volontiers. Les voilà fiancés !

Un soir de pleine lune, vers minuit, Hans entendit des voix qui provenaient de la chambre de sa fiancée. Intrigué, il se leva, sortit dans le couloir, s’approcha de la porte de la chambre et lorgna par le trou de la serrure.

A la lueur des chandelles, il vit 3 femmes qui ricanaient. Il s’agissait de sa bien-aimée, de Dame Gaudel la meunière et de Barbara (la maîtresse de Jacques le Barbu). Elles marmonnaient des paroles incompréhensibles, se dénouant les cheveux et portant des chemises de nuit blanches. Elles se passèrent un flacon mystérieux d’où sortait une fumée verdâtre, et se versèrent quelques gouttes de liquide suspect dans le creux de la main, avant de s’en enduire de la tête au pied.

Soudain, 3 balais bien rangés dans un coin s’avancèrent vers les femmes. Chacune en enfourcha un et s’envola par la fenêtre.

Sapristi ! des Sorcières !

Hansélé n’en revenait pas ! Sa belle promise, une sorcière !

Pour en avoir le cœur net, il entra dans la pièce, s’empara du flacon et versa le reste du contenu sur son front et ses mains. Aussitôt, un balai se présenta à lui, il l’enfourcha et le voilà à son tour dans les airs ! Il s’agrippa à son balai qui n’en faisait qu’à sa tête.

J’aurai dû prendre une petite laine, il fait un peu frais !

Il survola la ville de Bouxwiller et atterrit au Mont Sébastien, le Bastberg, endroit à la sinistre renommée : repère de Sorcières ! Vite, Hanselé se cacha derrière un buisson. Entre les branches, il découvrit une drôle de cérémonie autour d’un grand feu.

Des sorcières, il y en avait au moins une trentaine ! Parmi elles, se trouvaient Dame Gaudel, Brigitte sa fiancée, la femme du greffier, la boulangère, la bouchère, la femme du bailli et aussi la belle Barbara ! Toutes ces femmes, Hanselé les connaissait bien, puisqu’il leur livrait de la farine toute l’année. Ces dames avaient toute bonne réputation et pignon sur rue ! Quel scandale, des sorcières ! Décidément, on ne peut plus se fier à personne !

Voilà qu’elles firent une ronde autour d’un affreux crapaud perché sur un rocher qui les regardait avec de grands yeux globuleux. Elles chantaient :

Nous sommes des sorcières

Et nous en sommes très fières

Chevauchant nos balais

Nous fuyons la lumière

Pour fêter les ténèbres

Avec nous, le mal est fait !

 

Et chacune annonça ses maléfices :

  • Moi, j’ai empêché les poules de pondre,
  • Moi, j’ai versé du gros sel dans le tonneau de vin,
  • Moi, j’ai fait tourner le lait de toutes les vaches ……. HAHAHA

Elles ricanaient reprenant de plus belle leur ritournelle :

Nous sommes des sorcières,

Et nous en sommes très fières,

Sortilèges et Maléfices

Sont nos seuls vices

Adeptes de la Magie Noire

Il faut le voir pour le croire !

Tout à coup, une sorcière s’approcha d’un buisson et en ressortit avec le pauvre Hanselé !

– Mes amies, approchez, regardez qui j’ai trouvé là, entrain de nous espionner !

– Mais c’est Hansélé, le garçon meunier !

L’affreux crapaud prit la parole :

– Par ici, vient près du feu, qu’on te voit un peu !

Pétrifié, Hanselé n’osait pas bouger. Les diablesses le menèrent devant leur chef.

Dame Gaudel se tenant près du crapaud lui confia :

– Dire que j’ai failli donner ma fille à ce vaurien, qui a volé notre onguent pour venir fêter le sabbat en notre compagnie ! Ah il se croit malin ! Ce n’est qu’un âne !

Le crapaud du haut de sa pierre déclara :

– Qu’il en soit ainsi ! Qu’il soit transformé en âne !

Aussitôt, Hans se transforma : ses oreilles s’allongèrent, son corps fit couvert de poils gris. Il était devenu un âne !

Le chant du coq annonça l’aube. Le jour pointa à l’horizon. Le crapaud sauta dans un fourré ; du feu, il ne restait que des braises, une à une les mégères sautèrent sur leur balai et disparurent dans les airs, en chantant une dernière fois :

Nous sommes des sorcières

Et nous en sommes très fières

Chevauchant nos balais

Nous fuyons la lumière

Pour fêter le Sabbat.

Hanselé, se retrouva seul, il trotta sur le chemin et fit claquer les cailloux du sentier sinueux sous ses sabots.

Un charbonnier passa par là, il emmena l’âne et le vendit à M. Le Receveur. Durant quelques semaines, il le nourrit d’avoine, de son et d’eau fraîche, puis finit par le céder aux chanoines de Bouxwiller. Hans l’âne était bien traité : il était très fier car il avait l’honneur de porter les reliques (statues des saints, lors des jours de fêtes religieuses). Les jours de fête, il paradait toujours devant, en tête de procession, sous les applaudissements des villageois.

Un jour de forte chaleur, le baudet eut très soif. Devant lui, un enfant de chœur portait un seau remplit d’eau fraîche. Sans hésiter, l’âne trempe son museau et bu autant d’eau qu’il le pu.

C’était de l’eau bénite !

A peine avait-il bu quelques gorgées, qu’il se transforma en homme. A quatre pattes, nu comme un ver au milieu de la foule, les reliques sur son dos, notre Hanselé avait fière allure. Les fidèles crièrent, épouvantés et virent Hans s’enfuir.

Mort de honte, il finit sa vie d’homme en vivant humblement à l’écart de la foule.


Christine Fischbach, conteuse professionnelle

Une histoire alsacienne contée par la conteuse professionnelle Christine Fischbach.
Retrouvez ses contes et représentations sur www.christinefischbach.fr