jeudi 3 octobre 2024
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Ma quête de la tarte flambée – Mini Süech nooch em Flàmmeküeche

Jusque dans les années 60, les tartes flambées n’étaient servies qu’en privé : elles étaient réalisées le jour où l’on cuisait le pain dans les fermes. C’était avant que la restauration s’en empare et avant qu’elle s’exporte dans le monde entier.

En 1998, le chef alsacien Jean-Georges Vongerichten, avait conquis Soho, quartier d’artistes dans le bas de la ville de New York, avec le restaurant Mercer Kitchen où les yuppies et les stars se bousculaient pour savourer ses tartes flambées qui figuraient sur sa carte sous le nom alsatian pizza. La tarte flambée, de Flàmmeküeche, est en fait née du génie inventif de nos ancêtres pour ne pas gaspiller l’énergie : à 300° le four au feu de bois est trop chaud pour cuire le pain. Il le brûlerait. Alors, dans ce laps de temps où la température va descendre à 270°, on en profitait pour abaisser de la pâte à pain, la garnir de fromage blanc, de crème, d’oignons et de lardons. Et pour la déguster avec les doigts en roulant la portion en gros cigare.

Sur sa tarte flambée, Sébastien Schmitt, du restaurant Le clos de la Garenne à Saverne, remplace les oignons par des tiges d’oignons verts / ©S.M.

Ma grand-mère avait un four à pain qu’elle allumait le vendredi. Il se trouvait dans un petit local de la ferme appelée s Brannhisel. Ce mot, qui signifie « la petite distillerie », était rempli de vie dès le matin, sitôt la traite terminée, car on y écrémait le lait, on y barattait le beurre. Le vendredi, l’ambiance était rendue fébrile par la cuisson hebdomadaire de pain.

Mamama n’aimait guère que les enfants et les chats lui marchent dans les jambes. Elle élevait la voix et nous reculions dans la cour pour observer comment on nourrissait un feu et comment on roulait la pâte. Nous attendions que vienne la première tarte flambée. Grand-mère l’appelait de Brieli (le gueulard) et c’est vrai qu’il y avait des éclats de voix qui fusaient pour attiser le feu, enfourner et défourner cette tarte à la pâte si croustillante, léchée par les flammes, surmontée du mélange divin : crème, oignons et lardons.

En 1976, à mes débuts à la télévision régionale comme producteur-présentateur, je proposais comme troisième émission, un « treize minutes » sur la tarte flambée. À l’époque on travaillait encore avec du film et une émission de 13 minutes représentait trois semaines de travail. Cette émission sur la tarte flambée me fit collaborer avec la réalisatrice Olga Poliakoff, sœur de Marina Vlady, Odile Versois et Hélène Vallier, les célèbres Sœurs Poliakoff qui excellaient au cinéma. Olga avait choisi la voie de la réalisation où peu de femmes s’étaient alors hasardées.

La roulette, pour une découpe plus aisée. / ©S.Morgenthaler

Nous avons tourné en novembre 1976 en différents lieux : à Willgottheim, dans le restaurant (l’actuel Oie gourmande) qui appartenait à l’époque à la famille de Bernard Rebstock. Le four à boulanger était placé dans la salle même du restaurant, ce qui permettait de voir des femmes alertes rouler la pâte, enfourner et défourner les tartes. Nous avons également filmé à Weitbruch dans la maison d’Angèle Brevi qui maintenait la tradition de la tarte faite le même jour que la cuisson du pain. L’équipe s’était régalée, d’autant que la maîtresse des lieux nous servit si généreusement en vin blanc que l’équipe garda cet enregistrement gravé dans sa mémoire. Durant les vingt ans qui suivirent, dès que j’étais en tournage avec le cameraman Henri Baleydier, il me disait : « Vain Dieu ! Ce tournage, quelle épopée ! »

Tarte flambée crue prête à l’enfournage. / ©S.Morgenthaler

Ma mémoire a puissamment retenu une excellente tarte flambée mangée dans les années 80 chez le chef André Nold, à Salmbach, village de l’Outre-Forêt. Sa maman avait réalisé une pâte au levain croustillante et la garniture, sans fromage blanc, consistait en une crème double légèrement aigre (Sürrahm), des oignons et des lardons.

J’aime les saveurs vraies et intenses, sans fioritures. Je n’abonde pas dans le sens des rajouts de munster, beurre à l’ail, escargots, champignons et autre. Car l’alchimie fromage blanc, crème, oignons et lardons n’exige pas d’autre support. Mais j’avoue avoir trouvé séduisante une tarte flambée dégustée en 2001 à New York dans le restaurant Actuel que tenait alors Jean-Yves Schillinger. Guidé par son foisonnement d’idées, le chef colmarien avait remplacé la crème par du wasabi, une plante utilisée comme condiment dans la cuisine japonaise et qui a le goût du raifort. À la sortie du four, il avait posé sur la tarte, avant de la servir, des tranches très fines de thon cru qui très vite tiédissait au contact de la tarte chaude. Ce fut très déroutant de manger cette tarte flambée sur fond de gratte-ciels. Je pensais à Marie-Barbe Staebler, ma Mamama depuis longtemps disparue, et j’imaginais sa déroute si elle s’était trouvée à mes côtés à ce moment-là.

Tarte Flambée : une alchimie entre pâte à pain, fromage blanc ou crème, oignons et lardons. / ©S.M.
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