L’histoire de ce roman se déroule dans une ville qui ressemble à s’y méprendre à Strasbourg, prise dans de fulgurantes glaciations et il décrit la vie d’une petite communauté qui tente de survivre dans cet étau de glace et de neige. Les hantises des fictions romanesques de Guy Heitz sont souvent visionnaires par rapport aux difficultés du monde d’aujourd’hui. Alfred Kern, (prix Renaudot 1960) écrivait de lui :
Guy Heitz, illustrateur et poète, éclaire et grave d’un même trait une tradition rhénane. Il est le frontalier de son corps en même temps que le frontalier de sa propre langue, l’œil toujours ouvert au vide, à la réalité qui se présente, habitée ou menacée d’infini.
Ce Strasbourgeois amoureux de sa ville, qui passa sa vie dans une maison historique du quai Saint-Nicolas, a laissé une empreinte dans le domaine du théâtre, du dessin, de la poésie, du journalisme et surtout de l’écriture.
En 1971, il fut le membre fondateur du Conseil des écrivains d’Alsace, qui a regroupé la plupart des nouveaux auteurs alsaciens tels que Roland Reutenauer, Jean-Claude Walter, Conrad Winter, Sylvie Reff, Maxime Alexandre, Jean-Paul Klee et d’autres. Il est aussi l’auteur de neuf recueils de poésie, d’un livre de contes et d’une pièce de théâtre, Le Tambour d’Odile interprétée par La Manivelle en 1981 au Théâtre national de Strasbourg. Comme illustrateur, il figure dans le dernier catalogue des collections du Musée international de l’illustration Tomi Ungerer, qui a acquis une trentaine de ses œuvres.
Comment vint à Annick Hemberger-Metzger l’idée de sortir ce manuscrit des limbes ? Elle avait entrepris dès 2019 de se plonger dans les archives et les journaux de son père et en fit don à la Bibliothèque nationale universitaire en juillet 2020. Ces documents témoignent du processus de création de l’auteur et de sa technique littéraire, avec des témoignages écrits de ceux qui l’ont connu.
Rendre publics ses archives et ses dessins demandait une préparation importante, de prise de recul, pour approfondir la compréhension de son œuvre, explique Annick. Cela a été possible à la fois par une arrivée à la retraite, et par une réactivation du passé lors du décès de ma mère Cathy—sa première compagne, également l’héroïne de Tropica—en retrouvant les lettres que mon père lui avait écrites. Ce qui m’a enfin mis le pied à l’étrier.
Pour l’encourager dans l’édition de ce roman, son compagnon, le compositeur et poète Claude Wind, proposa de saisir la moitié du texte que Guy Heitz avait écrit à la machine mécanique.
Je n’avais plus que l’autre moitié à saisir. J’ai ensuite cherché un éditeur et le livre fut publié par les Éditions L’Harmattan. Neige à tout faire est un roman que mon père aimait beaucoup et qu’il a cherché à publier à plusieurs reprises, ajoute Annick. Je suis heureuse de cet aboutissement et j’espère contribuer ainsi à ce que son œuvre ne se perde pas. Mon père était très attaché aux grands mythes : Prométhée, Icare, Œdipe, Le Sphinx, Orphée. Il était un visionnaire et deux romans le prouvent : Mortemar (Gallimard 1967) qui annonce Mai 1968 et L’armistice (BF Éditions 1990) qui annonce entre autres la chute du Mur de Berlin. Tropica (Le Seuil 1958) est un premier roman, fougueux, quasi-surréaliste, lyrique, mettant en scène un univers familial complexe, dans un descriptif à la Jérôme Bosch.
J’ai rencontré Guy Heitz aux Dernières Nouvelles d’Alsace en 1973. J’étais étudiante au Centre universitaire d’enseignement du journalisme. J’avais eu la chance d’obtenir un stage de deux mois au journal. Je découvrais cette vaste salle de rédaction, dans laquelle tous les services s’alignaient en enfilade. Guy Heitz était affecté au service Région attenant au mien, celui des Arrondissements.
Il venait vers 15 heures et repartait à 22 heures. Il passait ensuite une grande partie de la nuit à écrire. Son visage avait une gravité que balayaient des rires saccadés et brefs qui résonnaient comme des grelots. Il dégageait à la fois force et fragilité. On devinait en lui une grande gentillesse, mais aussi une réserve et une capacité à l’introspection propre aux écrivains. Dès que l’on s’entretenait avec lui et que l’on abordait un sujet qu’il aimait, comme par exemple le carnaval de Bâle ou la recherche spatiale—des thèmes qui l’aimantaient—, il se montrait vite capable d’exaltation et d’émerveillement. « Vous avez l’imagination de demain », avait écrit Gaston Bachelard à Guy Heitz, touché par les mots du philosophe.