vendredi 22 novembre 2024
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Dominique Baudendistel – L’amour du brasseur

Schilikois d’origine, il est né à deux pas des brassins. Sa carrière démarre pourtant dans les produits laitiers chez Alsace Lait, mais il entre finalement chez Adelshoffen, avant de devenir directeur commercial de la brasserie Fischer et de vivre les débuts de la marque Desperados. En 2001, il est engagé par la Brasserie Licorne à Saverne. Il est aujourd’hui président du directoire de cette entreprise de 170 salariés aux 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, et depuis 3 ans il est aussi le président très investi des Brasseurs d’Alsace.

L’entreprise que vous dirigez est une grande brasserie régionale, souvent sous-estimée, non ?

Ça a été un jeu pendant très longtemps, mais on a eu à cœur d’inverser cette réputation pour que les Savernois soient fiers de leur brasserie ; il y en avait même qui ne connaissaient pas notre existence. Commercialement, on était plutôt actif sur des marques distributeur et à l’époque il y avait très peu d’indications sur l’origine de nos bières. Lorsque j’ai démarré en 2001, j’ai eu la surprise de voir que dans les bistrots, les bars et les restaurants à Saverne, il y avait des enseignes qui portait le nom du groupe Karlsbräu, on y buvait de la Licorne bière d’Alsace qui n’était pas revendiquée comme une bière locale. Cette contradiction me dérangeait. On a fait une première tentative dans l’univers des marques avec Dark Dog, nous étions les premiers dans l’énergie drink en France, cela nous a ouvert beaucoup de portes, et apporté de la visibilité. C’était aussi une époque où beaucoup de brasseries fermaient, ce qui a ouvert une brèche pour l’émergence d’une nouvelle bière locale et alsacienne. À partir de 2006, la Brasserie de Saverne est devenue la Brasserie Licorne, on a même replanté de l’orge dans la région avec l’idée de faire une bière 100 % locale, la seule véritable bière alsacienne.

Vous dites cela avec un petit sourire !

Oui, parce qu’on savait qu’on allait secouer le cocotier, on savait où on mettait les pieds. Du houblon il y en a pléthore en Alsace, on est très réputé pour ça, c’était simple. Mais l’orge, c’était plus compliqué. On a pris des risques et l’on a vécu des périodes difficiles; les trois premières années, les récoltes n’étaient pas bonnes et ne pouvaient pas être utilisées en brasserie. La première vraie bière 100 % alsacienne est sortie en 2008, la Licorne Elsass, qui est sans doute la bière avec l’empreinte carbone la plus basse. Cette bière a servi de tremplin et nous avons développé une stratégie de marque avec des produits originaux comme Licorne Black, où les bières saisonnières, une bière bio… Toutes nos bières sont brassées ici.

La Brasserie de Saverne, l’une des grandes marques de bière en France. / ©Dr
Avez-vous trouvé votre vitesse de croisière ?

On en est loin. Depuis quelques années, nous avons décidé de réduire la voilure sur les marques distributeurs où les marges sont très faibles, et de nous concentrer sur nos marques. Nous avons eu une décroissance de volume extrêmement forte, mais aucun impact sur notre rentabilité, au contraire. On continuera à développer les marques distributeurs, mais sur des produits plutôt innovants, notre structure est adaptée pour la recherche de nouveaux goûts, et nous allons continuer à développer nos marques pour avoir du poids en France et même à l’international. Ici, nous pourrons produire sans difficulté jusqu’à 1 200 000 hl.

C’est un objectif, en hectolitre, mais aussi en chiffre d’affaires ?

Pour moi, oui. En chiffre d’affaires, cela pourrait représenter 200/220 millions d’euros. Mais ce que l’on remet en cause régulièrement, c’est « est-ce que l’on est sur le bon chemin », c’est ça qui m’intéresse.

Vous êtes salarié de l’entreprise depuis 2001, il était question que vous deveniez actionnaire, non ?

Oui. En 2019 il y a eu un projet de session sur lequel je me suis positionné, je devais reprendre la brasserie en mai 2020 avec un fonds d’investissement, et puis il y a eu le mois de mars et le confinement qui a gelé l’ensemble du processus à deux jours de la signature définitive. On devait se revoir en octobre, après avoir fait un très bel été, et il a eu le deuxième confinement. Finalement, la famille Weber, l’unique propriétaire de Licorne, a décidé de garder l’entreprise. Mais nous avons d’excellentes relations. Je n’ai pas changé la stratégie, je continue exactement de la même manière, quel que soit l’actionnaire.

L’un des derniers produits Licorne. / ©Dr
Sans frustration ?

Bien sûr qu’il y a une légère frustration, mais ma vie n’aurait pas changé.

Vous êtes né dans la patrie des brasseries, à Schiltigheim, et votre père tenait un restaurant à Saverne, alors vous vous trouvez à ce poste de président de cette brasserie, c’est assez logique finalement !

En 2000, la brasserie de Saverne fêtait son millionième hectolitre, mon père faisait partie des traiteurs sélectionnés pour cette fête grandiose. Du coup, j’ai été invité. Je suis venu à reculons, mais j’ai découvert un univers que je ne connaissais pas, avec des centaines de personnes dans la brasserie, une vraie culture, une fête de famille, cela m’a impressionné. Je l’ai très vite comparé avec ce que je vivais dans un groupe international – à l’époque la brasserie Fischer avait été rachetée par Heineken – et dans ce genre de groupe le «bonhomme» n’existe pas trop. Lorsque l’on m’a proposé de rejoindre la Brasserie de Saverne, je n’ai pas hésité.

Depuis trois ans, vous êtes aussi président des Brasseurs d’Alsace, un mot là-dessus ?

C’est important, car l’univers de la brasserie a énormément bougé. Je suis membre des brasseurs d’Alsace depuis très longtemps. Il y a sept ou huit ans avec l’émergence des microbrasseries, on est passé de six à plus d’une quinzaine, avec une difficulté : comment fait-on dans ce marché qui explose ? C’est ça qui m’a vraiment intéressé. L’idée était de remettre une très grosse dynamique. Lorsque l’on organise des évènements, tout le monde est logé à la même enseigne, ce sont des règles que je voulais instaurer. Aujourd’hui, on a pas mal de chantiers ouverts, on travaille notamment avec Alsace Développement Tourisme.

Et comme les Alsaciens sont les champions de France du « consommer local », tout va bien pour vous ?

Absolument, même s’il y a 2 600 brasseurs en France. Avant c’était une évidence, la bière c’était l’Alsace, ce n’est plus une évidence, mais on travaille pour que cela le redevienne.

Dans ce sens, la fête de la bière de Saverne est importante ?

Oui, nous sommes de loin le plus gros évènement brassicole en France, le dernier week-end d’août avec 50 000 personnes en 3 jours, c’est gigantesque. Mon truc, c’est que les Savernois soient fiers de leur brasserie.

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