Bénédicte Keck – Coup de Rhin à l’alsacien

Sa mère est de Drusenheim, son père de Herrlisheim où elle a fait ses premiers pas le long du Rhin, et aussi prononcé ses premiers mots, en alsacien. Bénédicte Keck a fait de sa langue maternelle son métier : récemment animatrice de l’émission transfrontalière Rheinfieber mais aussi de Sùnndi’s Kàter toute l’année sur France 3, comédienne à la Choucrouterie, elle est aussi traductrice à l’Office pour la langue et les cultures d’Alsace et de Moselle (OLCA).

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Vous habitez à Strasbourg, quel souvenir gardez-vous de Herrlisheim ?

Aujourd’hui je ne vais plus trop dans le coin, mais la région et tous les villages le long du Rhin m’évoquent mon enfance, quand je jouais avec mes copines sur les bords du Rhin, qu’on faisait du vélo sur la digue ou que j’allais regarder les bateaux avec mes parents. Pour moi c’était le Ried, Uffried, et les moustiques l’été (rires) !

C’est là que vous avez appris l’alsacien ?

Oui, à la maison, j’habitais avec mes parents et mes grands-parents, ils maîtrisaient mieux l’alsacien, c’était plus naturel, même s’ils faisaient un effort en français avec moi. L’alsacien était présent tout le temps dans la maison, je suis entrée à l’école avec cette langue maternelle.

Après des études orientées vers l’anglais, les métiers de la culture vous attirent rapidement…

J’aimais la traduction et pratiquer les langues, ça a toujours été au cœur de ma vie, avoir des copains, lire, regarder des films dans d’autres langues… J’ai eu la possibilité de travailler à l’université populaire Pamina à Wissembourg quand j’étais encore étudiante en LEA, j’ai donné des cours destinés aux personnes de part et d’autre du Rhin. Professionnellement je me suis assez vite orientée vers la culture, un peu au hasard des opportunités comme toujours dans ma vie.

Bénédicte sur scène avec la troupe de la Choucrouterie. / ©JM Loos
C’est ce qui vous a conduite à l’OLCA ?

En 2008, j’ai été embauchée comme chargée de mission et j’ai fait plein de choses différentes, pour finir référente linguistique et formation. Je suis la personne référente pour la langue, je traduis et relis.

Mais où avez-vous appris à écrire l’alsacien ?

Quand j’ai commencé à donner des cours d’alsacien en 2005, pour l’Association des jeunes pour l’alsacien (l’AJFE, Alsace-Junge fers Elsassiche) à Strasbourg. J’ai remplacé la prof, j’ai dû me former au côté pédagogique et à l’écrire, j’ai surtout animé et rendu ça drôle et ludique, puis je me suis perfectionnée à l’OLCA. Écrire l’alsacien m’intéressait, j’en avais envie, et j’ai donné cette orientation à mon poste, j’ai apporté cohérence et écriture propre, car beaucoup le parlent mais ne l’écrivent pas.

Quand le théâtre est-il entré dans votre vie ?

J’en avais déjà fait un peu à Herrlisheim, à 18 ans, avec mon père, puis au théâtre alsacien à Strasbourg. J’ai toujours été attirée par la scène, c’était plus qu’un loisir, une source de bonheur et de libération de jouer. Un jour en 2017, pour les Nuits de l’horreur, le Festival du film fantastique cherchait des comédiens pour ponctuer une soirée au musée alsacien. Ça m’a permis de sortir du théâtre et j’ai été repérée par quelqu’un de la Choucrouterie. En 2020, je passe donc de comédienne amatrice à professionnelle.

Quelle a été votre réaction quand Roger Siffer vous propose de rejoindre la Choucrouterie ?

Quand on m’appelle, j’ai la chair de poule, une réaction physique très marquée. C’était un rêve d’ado d’y jouer, je regardais la revue depuis presque vingt ans, je me disais que ce serait génial de pouvoir faire ça ! Ils cherchaient quelqu’un qui puisse jouer dans les deux langues, chanter, avoir de l’énergie et être disponible. Ça prend toute l’année, avec six mois de revue, soit 90 représentations, plus quelques sorties, et dès juillet, la préparation des sujets, chacun écrit, et c’est repris à la sauce Chouc dans un travail de création permanent.

Et vous avez démarré Sùnndi’s Kàter quasiment en même temps…

Oui, fin 2019 on m’a appelée pour une nouvelle émission sur France 3 produite par Red Revolver, pour écrire et jouer. Là, on va démarrer la quatrième saison, le cinquantième épisode vient d’être diffusé, toujours le dimanche à 10h, où l’on en apprend plus sur la vie personnelle du présentateur… Du coup, avec le théâtre en plus, j’étais passée à mi-temps à l’OLCA, et après quinze ans, je vais quitter la structure le 15 août. C’était quand même chaud, avec des semaines chargées !

Surtout que vous avez deux filles, parlent-elles alsacien ?

Oui, Freya et Hilda, elles ont 11 et 7 ans. Mon mari et moi leur transmettons l’alsacien, nous en avons fait la langue de notre famille, et sommes super heureux d’avoir fait ça, elles sont trilingues. À Strasbourg, la transmission de l’alsacien est assez minoritaire, nos filles sont les seules à véritablement parler à la maison, les autres familles sont plutôt franco-allemandes. C’est une richesse, c’est avoir une langue en plus, un héritage, qui n’existe que dans cette région. Elsass et elsassich vont ensemble.

Pour boucler la boucle, vous avez récemment animé le divertissement Rheinfieber (la fièvre du Rhin) en alsacien, badois et bâlois…

Je me suis beaucoup amusée, j’ai été ravie de faire la connaissance de Cossu, dont je suis une fan incontestée, je le suis sur les réseaux comme une gamine ! Et j’ai appris à connaître la Suissesse Simone Kern aussi. C’était intéressant parce que je suis revenue à un rôle d’animatrice, plus spontané, avec un vrai public. C’était un one shot qui a énormément été regardé en replay, mais on va probablement redemander des subventions à la CeA l’année prochaine. Le but était d’associer les chaines télé de Suisse et d’Allemagne, en montrant que cet espace, à part la frontière nationale, n’a pas de frontière ni linguistique ni culturelle. Nous sommes proches au niveau de l’humour, nous rions des mêmes choses, et en Alsace, on apprécie ce que font les Allemands et les Suisses.

Ce qui permet de se moquer gentiment les uns des autres, comme le dit la reprise incroyable de Daft Punk à la fin !

Ça dit, « si déjà tu te moques du voisin, fais-le bien : wànn dü’s wìtt màche, màch’s rìchti ! » Et pour finir, « il faut être rigolo : màch’s lùschti ! »