Caroline Guiela Nguyen – Le théâtre, de national à universel

La première fois qu’elle a posé ses valises en Alsace après son enfance dans le Var, c’était pour faire ses classes de metteur en scène à l’École du Théâtre national de Strasbourg (TNS), en 2005. De créations avec sa compagnie Les hommes approximatifs, comme Saigon en 2017 jouée dans plus de quinze pays, en réalisation de documentaires (Les Engloutis, tourné à la prison d’Arles), Caroline Guiela Nguyen raconte la diversité. Des cultures, des corps, des chemins de vie, qu’elle fait coexister pour que les portes soient ouvertes à tous. En pleine répétition de Lacrima, sa création 2024, elle a répondu à Maxi Flash deux mois après sa nomination à la tête du TNS.

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Caroline Guiela Nguyen. / ©Dr
Comment le théâtre est-il entré dans votre vie ?

Il est arrivé assez tard, parce que j’ai commencé par des études de sociologie, puis la faculté d’arts du spectacle à Nice. J’y ai découvert l’ethnoscénologie, c’est-à-dire l’étude des pratiques artistiques dans d’autres pays. J’ai donc goûté au théâtre ailleurs, en Asie, le butô, le bunraku… Et petit à petit, je suis arrivée au théâtre en France. Moi, je n’ai jamais joué, et j’ai commencé à aller au théâtre de façon régulière quand j’étais au conservatoire d’Avignon.

Rêviez-vous de prendre la direction d’un théâtre national ?

Non, j’ai mis du temps comparé aux générations passées de metteurs en scène qui ont eu un désir de rentrer dans l’institution, parce que j’avais besoin de découvrir d’abord ce qu’était mon geste de théâtre en tant qu’artiste. J’y travaille beaucoup et je ne dis pas que j’ai trouvé, en tout cas j’avais besoin de ce chemin-là, parce que cela influence aussi la maison TNS.

Vous êtes l’auteur d’une dizaine de pièces qui ont tourné en France et dans toute l’Europe. Cette prise de direction n’est pas contradictoire avec la création ?

Non pas du tout, ce serait la catastrophe ! Je ne peux pas m’arrêter d’être artiste, sinon je serais malheureuse et la maison le sait et l’encourage, il y a une vraie attention et une attente. Dans mon rôle de directrice, il y a profondément ma nécessité de continuer à être une artiste, vous voyez, là, je suis en répétition !

Caroline Guiela Nguyen à la soirée d’ouverture de saison en septembre. / ©A.Mirdass
Peut-on donner une journée type de directrice du TNS ?

Impossible ! (rires) Il n’y en a pas une similaire, c’est ça qui est génial. La seule chose que je sais, c’est que j’ai un bureau, alors que je n’en avais jamais eu auparavant. Et tous les matins de ma vie, j’écris. Je me réveille très tôt, j’écris dans mon bureau, puis je passe mon temps sur les affaires du théâtre jusque tard le soir… Cela demande beaucoup de concentration, de travail et de joie.

Le TNS est national, il a un rayonnement international, et vous souhaitez amener la création « au plus proche du territoire ». Allier local et international, c’est un objectif ?

Oui, j’adore l’idée d’être à Strasbourg. Je ne suis pas venue dans n’importe quel théâtre, j’ai un grand intérêt pour cette ville, avec l’existence de toutes les langues et dynamiques géographiques, c’est génial et j’ai envie de pouvoir en faire du théâtre. Moi-même l’année prochaine, je vais écrire un spectacle avec des personnes du territoire. Strasbourg est une ville européenne, et on a la chance d’arriver avec les collaborations d’avant, comme le Piccolo teatro à Milan, la Schaubühne à Berlin ou le théâtre de Stockholm. Ce sont des partenariats qui se créent au fur et à mesure.

L’École du TNS compte actuellement 52 élèves et vous y enseignez. Outre l’ouverture au cinéma et à l’audiovisuel que vous impulsez, quelle est l’évolution depuis votre passage sur ses bancs ?

J’avais envie de créer des espaces de réflexion dans l’école, par exemple, on se pose la question du récit dans l’audiovisuel : comment il se pense quand on fait du documentaire, de la série ou du cinéma, pour que le théâtre puisse s’enrichir des pratiques très présentes actuellement dans nos histoires et nos formes. Dans les convictions que j’ai, et je n’en démordrai jamais, c’est la puissance de cette école : il y a des comédiens qui apprennent à côté de metteurs en scène à côté de scénographes à côté de régisseurs. Cela donne une pensée du théâtre avec toute cette communauté d’artistes en plateau. Et ce qui est assez beau, de la part de Stanislas Nordey (l’ancien directeur, NDLR) et de tout un mouvement de l’époque, c’est que les élèves viennent d’horizons très différents. C’est une richesse de ne pas venir de mêmes classes sociales ou milieux culturels, c’est vital pour l’art.

La pièce Lacrima, une création qui sera présentée en mai 2024. / ©A.Bertereau
Parlons de vos pièces, le rapport aux émotions est souvent présent, comme dans Lacrima qui signifie larme ?

Je n’ai pas peur de la question de l’émotion, je raconte des histoires avec des questions qui traversent des personnages et les émotions sont vite présentes. J’aime bien les travailler avec les spectateurs. Lacrima, c’est un spectacle qui va se passer dans des ateliers de couture, une princesse d’Angleterre vient commander une robe pour son mariage. On va suivre toutes les personnes qui mettent la main sur cette robe, les dentellières d’Alençon, les patronniers de Paris ou les brodeurs d’Inde.

C’est une histoire contemporaine et universelle… Pensez-vous qu’aujourd’hui le théâtre est ouvert à toute la population ?

Il faut qu’il le soit ! Déjà en ayant tout le monde sur le plateau, quels sont les récits portés et les gens qui les portent… Ça ne veut pas dire que quand on fait un spectacle sur les Vietnamiens, ça ne concerne que les Vietnamiens, mais tout d’un coup ça crée un nouveau contrat : « Tiens, dans nos institutions publiques, il y a des gens qui parlent la même langue que moi ! » Ce que nous racontons, ils en font partie. Devant moi est affichée cette phrase sur le mur : « Soyez les bienvenus, nous vous attendions ».

Les spectacles à venir : jusqu’au 18 novembre, Radio live-La relève (théâtre documentaire d’Aurélie Charon), puis du 28/11 au 08/12, Le Voyage dans l’Est (création de Stanislas Nordey sur un texte écrit par Christine Angot).