Charles Hueber, le maire que Strasbourg veut oublier

Notre chroniqueur Ambroise Perrin nous propose pour cette rentrée une série qu'il intitule « Ce jour-là (en Alsace !) j'étais là... ». Chaque semaine une intrépide plongée littéraire dans des textes qui jalonnent l'identité de notre région. Cela commence toujours par une date précise pour raconter, avec un peu de dérision, une petite histoire. La littérature ayant le privilège de ne pas vérifier si tout est vrai, il reste l'essentiel, amuser les lecteurs de Maxi Flash.

0
152

Le 22 mai 1929, je suis au Conseil municipal à Strasbourg, je fais partie de l’équipe de Jacques Peirotes depuis presque dix ans ; je ne suis pas à ma place au Conseil, mais dans le public, parce que notre équipe a perdu les élections. Le Volksfront a obtenu 45,47% des suffrages, loin devant les socialistes. Le Volksfront est une alliance qui additionne 22 élus, contre 4 socialistes et 7 démocrates. J’observe tout ce monde un peu perdu sur l’estrade, bien sûr, il n’y a que des hommes. Seuls les hommes français de plus de 21 ans ont pu voter et être élus, alors qu’il y a toujours beaucoup d’Allemands qui sont Strasbourgeois.

Oui, je vois bien des flottements pour élire le nouveau maire. Il n’y a pas de candidat évident entre les autonomistes, les cléricaux et les communistes au sein de la coalition. Pourquoi pas Karl (ou Charles ?) Roos ? Eh bien non, d’abord aujourd’hui, le conseiller municipal n’est pas présent, car il est toujours en détention préventive à Besançon, un procès pour autonomisme. Roos a envoyé un courrier pour décliner la proposition et laisser la place de maire au communiste Charles Hueber. Hueber est donc élu ! Il va dénoncer par exemple le déficit de 3 millions de francs du théâtre. Le théâtre ? C’était ma passion ! Et c’est vrai que les ouvriers, majoritairement dialectophones et germanophones, n’y allaient pas souvent. Alors on programme des pièces en allemand, l’État français refuse les subventions et Hueber réplique en supprimant les fêtes du 14 juillet.

Moi, je suis professeur francophone et nationaliste, je guette mes étudiants, ils sont 300 à organiser un monôme place Kléber pour brûler un mannequin représentant l’autonomisme. D’autres étudiants, d’Action française, bloquent le tram devant la Gallia. Il y a un peu plus de dix ans, à la sortie de la guerre, on nous avait promis l’éblouissement tricolore. Mais aujourd’hui c’est la confusion qui règne dans nos convictions. La population alsacienne est désemparée parce qu’elle n’est nullement consultée sur sa destinée. On va appeler ce trouble le malaise alsacien. Arrive 1933, le parti national-socialiste en Allemagne va forcer ses opposants communistes à s’exiler ; ils espèrent être bien accueillis à Strasbourg. Mais on sait que Charles Hueber se tournera vers la collaboration lorsque le régime nazi occupera Strasbourg, ce qui jettera sur lui l’opprobre de l’Histoire et, fort piteusement, l’oubli des générations suivantes.

1929, élections de Charles Hueber maire communiste et autonomiste. Pierre Krieger, 2022, éditions Midi-Pyrénéennes.