Gaétan Bohler alias Papy Gaga – Marcher rend fou de joie

Tout comme il avait arrêté de fumer quand il a repris ses études en 1990, puis stoppé net l’alcool à Noël, Gaétan Bohler a aussi décidé de cesser son activité professionnelle le 26 mai 2021, à 57 ans. Objectif : relier Paris à Dakar…à pied ! Si le natif de Bischwiller a peut-être ouvert une voie de 7000 km, du nom de Papy Gaga comme son pseudo, il reconnaît qu’il faut être fou pour entreprendre un tel voyage, mais que comparé aux hôtels quatre étoiles qu’il pourrait s’offrir, rien ne vaut mille étoiles sur une plage…

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Sur la route entre Paris et Dakar… / ©Dr
Quel a été le déclic pour vous lancer dans une marche de 7000 km ?

Le jour de mes 50 ans, ma fille me dit : « Papa tu as une grosse bagnole, ça ne te suffit pas ? Le monde est grand, la vie est petite ». Et mon fils, « Papa t’es gros, t’es pas sportif ». Deux claques ! Je vais à Strasbourg m’acheter un sac à dos pour faire le GR20, la traversée de la Corse. C’est relativement dur, j’ai souffert, mais j’ai montré à mon fils que je pouvais le faire. Arrivé au bout, j’ai jeté le sac et j’ai dit j’arrête ces conneries. Puis j’ai fait la Réunion, les Alpes, les Pyrénées, et comme j’ai de l’arthrose, mon médecin m’a conseillé d’éviter le dénivelé. Alors j’ai dit « Paris-Dakar c’est du plat. — Personne ne fait ça ! —S’il y a un con qui fait ça, c’est moi ! » (rires)

Avant les réflexions de vos enfants, quelles étapes ont jalonné votre vie
professionnelle ?

J’ai commencé par faire 10000 pièces à la chaîne, et quand une n’était pas bonne, c’était celle-là qu’on me faisait remarquer. C’est comme dans la forêt, certains marchent sur les petits glands, d’autres les arrosent et un deviendra un grand chêne. A l’école, on t’apprend toujours à devenir quelqu’un, jamais à devenir toi-même. Ma femme me dit tu es capable, alors je fais un BTS automatismes industriels, et je rentre chez Schroff à Betschdorf, où mon patron me fait grandir… Puis je me mets à mon compte comme consultant en organisation, mes clients sont des grandes boîtes françaises, je me fais absorber par le système. En parallèle, je développe La boutique du progrès, j’embauche ma femme et mon fils, aujourd’hui ils sont 25 salariés, ça marche très bien, mais je ne m’occupe pas assez de ma famille… Sans les réflexions des enfants, je serais toujours à bosser comme un fou ! J’adorais mon boulot, mais il y a un temps pour tout : il me reste 14500 jours à vivre, j’ai envie de faire autre chose.

Le jour du départ, à Paris le 6 juillet 2022. / ©Dr
Vous décidez de partir de Paris, pourquoi ne pas vous être échauffé depuis Haguenau ?

Le petit truc c’est que Sébastien Loeb vient de Haguenau, et il est arrivé deuxième, c’est l’histoire du lièvre et de la tortue, et moi je n’ai pas pollué ! Je suis parti de Paris sans aucun entraînement pour 15 km et j’ai réussi à en faire 25 le premier jour, c’était un bon échauffement ! Je n’avais pas de date butoir, pour moi c’était une balade, j’avais le temps.

Le trajet était-il planifié ou vous alliez où vos pas vous menaient ?

J’avais prévu de partir le 6 juillet, je voulais être en décembre au Sahara. Donc un mois en France, un en Espagne, trois pour le Maroc, un en Mauritanie, et encore un mois au Sénégal. Manque de bol quand je suis parti, il faisait trop chaud pour continuer sur Madrid et Gibraltar. J’ai décidé d’ajouter 1000 km, soit six semaines, en passant par Compostelle, Porto, Lisbonne, le long de la mer, avec 10 degrés de moins, et je suis arrivé le 21 février à Dakar.

À son arrivée à Dakar, 200 personnes l’attendaient, des gens qui le suivaient sur les réseaux, de Casablanca, d’Agadir, et même d’Alsace ! / ©Dr
Quel est votre meilleur souvenir en France ?

C’est quand j’ai viré la tente et que des gens m’hébergeaient sur le parcours alors que je n’y croyais pas. Des dames seules même, des personnes qui avaient besoin de causer, et qui ont réussi à vider leur sac. Le lendemain matin, j’emmenais toute la misère avec moi. Pour la petite histoire, je regardais les cathédrales, les monuments tout ça, à la fin je m’en foutais royalement, je regardais les gens, je suis passé du matériel à l’immatériel. Sur 231 journées de marche, j’ai été hébergé 114 jours.

Justement, quel était l’objectif de ce voyage ?

Rencontrer des gens et me rencontrer moi-même. Dakar c’était un prétexte, j’y étais déjà! 7000 km c’est quatre paires de chaussures, zéro ampoule, mais le plus important c’était un million de sourires, c’était ça le challenge.

Vous n’avez jamais craint pour votre sécurité ou de manquer d’eau ?

Quand on arrive en Mauritanie, il y a 4 km de no man’s land avec des champs de mines, on n’est pas trop à l’aise, et nulle part en Mauritanie d’ailleurs. Il y avait une appréhension à chaque fois que je passais une frontière, je ne parle pas espagnol par exemple, finalement avec la main et le cœur ça allait très bien. En Afrique, short ou pas short, photo ou non, pas d’alcool, il faut s’adapter… Au Maroc, après Tan-Tan sur 1 700 km il n’y a plus rien, que du sable jusqu’à Nouakchott. Une route, une station essence tous les 100 km. La police me forçait à y dormir, car on ne veut pas que les blancs se fassent agresser. La culture veut que l’eau vienne du ciel, elle n’est pas à toi, alors si tu montres ta bouteille les camionneurs te la remplissent. Je n’ai eu aucun problème d’eau ou de manger local, jamais malade, j’ai juste eu une tendinite à Compostelle où je suis allé aux urgences, j’ai changé de chaussures et c’était bon. J’avais aussi trois téléphones : un qui ne marche pas pour le donner en cas d’agression, le deuxième pour me guider, et le troisième au fond du sac, plus une batterie externe et un panneau solaire.

Avec Graziella, venue de Dunkerque pour une conférence : « Il y a des gens qui traversent la France pour voir un chanteur grand comme un Playmobil, moi je suis venue rencontrer Papy Gaga ! » / ©SB
Vous communiquiez beaucoup avec votre famille ?

Oui en visio, je montrais à ma femme le désert, le lendemain pareil, rien ! Ma femme avait des appréhensions, mais elle sait que je suis le Mac Gyver alsacien, je suis grand et costaud, et les Alpes, c’était beaucoup plus dangereux ! Mon petit-fils demandait pourquoi les gamins sont pieds nus, pourquoi ils jouent avec une bouteille, et je répondais « Noah, tu as un tout petit bac à sable, là ils en ont un tout grand ! » Déjà chez moi dans le salon, j’avais une carte et un petit bonhomme qui se déplaçait, il disait : « Papy Gaga a fait
1 cm ? » Oui enfin, ça représentait 40 km !

D’où vient ce surnom, Papy Gaga ?

Ça vient de mes petits-enfants, mais on ne sait pas si c’est Gaétan ou parce que je suis gaga ! J’ai gardé ce surnom, parce que le mental, ça ne suffit pas, il faut être fou, un fou de joie, avoir la pêche, être passionné. Quand j’arrivais chez les gens, ils me prenaient pour un fou de tout lâcher et quand je repartais, ils disaient que c’était eux les fous, de ne pas bouger, de travailler plus, etc.

Et quelle est la suite maintenant ?

De l’humanitaire que je vais faire ici, pas besoin d’aller à l’autre bout de la planète, et aussi de l’écologie, j’ai commencé un compost, les fresques du climat, faire réfléchir à ce qu’on peut faire à notre niveau, dans les écoles, les maisons de retraite…

Finis les voyages ?

Non, je voulais partir un an et demi, mais j’opte pour deux mois parti, deux mois rentré, pour faire le tour de l’Irlande… Ou la Thaïlande, ou le Danemark, ou la Bretagne, tant qu’il y a des gens qui me sourient.


 

Le chiffre : 600

Avec 4426 followers sur Instagram, Gaétan recevait 600 likes par jour. Il a aussi répondu à 100 commentaires Facebook quotidiennement.