Les regards de Simone : La saison des pommes

J’aime l’automne pour ses rendez-vous avec les pommiers, pour la joie d’être sur une échelle, de voir de haut la vie s’égrener à travers les feuilles, de renverser la tête et de regarder les pommes se découper sur le bleu du ciel. Si ce n’est le bonheur, ça lui ressemble.

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Simone Morgenthaler ©Hugo Cappa

Août nous a préparés aux premières pommes, celles nommées Arneäpfel, les pommes des moissons, qui donnent d’exquises compotes jaune pâle. En septembre et octobre suivent les autres variétés. Celles gardées au cellier ou en cave, posées sur de la paille ou dans des cageots, donneront dans la saison froide de délicieuses tartes, gâteaux et autres desserts.

Lorsque Maman faisait une tarte, elle s’arrangeait pour qu’il reste un surplus de pâte avec laquelle elle réalisait un chausson rond, qu’elle nommait Àpfel-Läiwele : hermétiquement fermé, il était empli de dés de pommes parfumées à la cannelle et régalait ma sœur et moi. Les crêpes aux pommes (Àpfelkiechle) constituaient un repas sans viande) du vendredi en accompagnement d’une soupe de légumes, en une heureuse alliance salée-sucrée.

Du haut de l’échelle, la vue sur le village de Haegen et le Haut Barr. / ©S.Morgenthaler

La pomme représentée sur la photo se nomme Winterrambour, la Rambour d’hiver. Ces pommes, aussi bonnes crues que cuites, sont introuvables dans le commerce . Elles font partie d’une variété ancienne, une parmi les 250 répertoriées en Alsace réunies dans les vergers conservatoires alsaciens, qui sont présentes dans le livre de « Pommes d’Alsace et des Vosges », de Philippe Girardin, (aux Éditions du Rhin), un livre de 1993 aujourd’hui épuisé dans lequel j’aime me promener, ne serait-ce que pour la beauté des noms de pommes : Citron d’hiver, Belle fille rose, Calville Blanche, Claque Pépin, Jolibois, Moisson lente, Motte d’Allemagne etc.

À côté de ces noms chantants, les variétés nouvelles qui remplissent nos étals et qui ont pour nom Granny, Pink Lady, Jonagold, Elstar, font piètre figure. Elles ont introduit une uniformisation regrettable, heureusement combattue par un retour en vigueur des variétés anciennes qui s’avèrent plus résistantes aux maladies et aux nuisibles que les variétés modernes. Ainsi la « reinette grise du Canada », avec sa peau couleur bronze, reprend du galon, tout comme la« Querin », et même la « Christkindler », la pomme de Noël toute rouge, pomme à jus et à longue conservation qui sert aussi à décorer le sapin de Noël.

Pommes Rambour d’hiver dites «Winterrambour».

Ces pommiers étaient autrefois cultivés dans les vergers d’Alsace sans le moindre traitement et ils produisaient avec peu de soin. Aujourd’hui, de plus en plus, les communautés de communes apportent des aides aux particuliers, aux associations et aux communes pour la plantation de vergers hautes tiges (hochstàmmigi Bäim) qui embellissent les paysages et jouent un rôle dans le maintien de la biodiversité, car ils offrent des conditions de vie idéales pour de nombreuses espèces animales et participent à la préservation des variétés de fruits.

Les pommiers de mon enfance donnaient des pommes anciennes aux noms surprenants, qui leur allaient à merveille: Arbeereàpfel, pomme-fraises, Schofnàse, mufle de mouton, Kitteàpfel, pomme-coing, Schmalzàpfel, pomme saindoux.

Il y avait aussi la pomme-cuir, de Laderàpfel, qui était utilisée pour du jus de pommes ou pour le vin de pommes. Car dans les régions sans vignoble, les pommes remplaçaient le raisin pour donner un vin qui n’était pas du cidre. Il était effervescent au départ lorsqu’il était vin nouveau, nejer Siesser, et cessait de l’être après fermentation.

Je me souviens avec précision du temps passé en automne à la cave avec mon père, de l’odeur du soufre, vom Schwawel, et de la texture si particulière du suif, vom Ùmschlìtt, une pâte visqueuse obtenue par la fonte de la graisse animale, couleur d’ambre et dont nous enduisions les contours du bondon afin de rendre hermétique le tonneau, pour que l’air n’entre pas en contact avec le vin.

Je repense aussi à la phrase que j’entendais dire par mon père :
Es ìsch noch jeder Àpfel vom Baum gfàlle, wenn sini Zit dò ìsch.
Ce qui veut dire : « Quand son heure est venue, rien n’empêchera une pomme de tomber de son arbre ».

Le livre Pommes d’Alsace et des Vosges, de Philippe Girardin, aquarelles Bruno Ferry,
Éditions du Rhin (1993). / ©DR