METEOR, malt à propos

C’est une histoire familiale, alsacienne et quatre fois centenaire. Depuis 8 générations, dans ce qui est maintenant la dernière brasserie indépendante de la Région, la famille Haag brasse la Meteor. Autour de l’incontournable breuvage, Maxi Flash a rencontré Michel le père et son successeur, Édouard, le fils. Une plongée au cœur des plus belles terres agricoles de l’Alsace, dans une entreprise très impactée par la crise du Covid, mais qui se bat pour conserver son identité, ses valeurs et ses emplois.

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Eric Genetet : D’un point de vue personnel, comment avez-vous traversé la crise sanitaire ?

Michel Haag : Nous avons eu le Coronavirus, Yolande (son épouse, grande figure du Nord Alsace) et moi. Elle a passé 17 jours à l’hôpital, dont trois très angoissants. Mais aujourd’hui c’est derrière nous, tout va bien.

EG : Et l’entreprise ?

Edouard Haag : Nous avons été touchés de plein fouet. Pendant le confinement, les restaurants fermés, nous avons perdu 80% du chiffre d’affaires. Même s’il y a eu un léger report (10%) sur la grande distribution, c’est environ 12 millions d’euros de manque à gagner. Et depuis la reprise, nous n’avons pas retrouvé un rythme normal.

MH : La perte correspondra à trois années de bénéfices.

EG : Alors, pour la dernière brasserie indépendante de France et ses 200 salariés, c’est compliqué ?

EH : Oui. Mais, nous sommes une entreprise familiale, nous avons l’habitude de faire certaines réserves et nous sortons de plusieurs bonnes années, de bons exercices financiers. Nous arriverons à faire face, mais il ne faudrait pas que cela s’éternise, c’est clair. Le plus dur dans cette crise, c’est le manque de visibilité.

MH : Même sans deuxième vague, le deuxième semestre sera de toute façon moins bon que celui de l’année dernière, et personne ne sait si l’année 2021 atteindra les chiffres de l’année 2019. Il y a une grosse incertitude.

EG : Vous imaginez des licenciements ?

EH : Face à une telle crise, une entreprise comme la nôtre n’aurait pas le choix si elle n’avait recours au chômage partiel. Ce serait une question de survie. On s’est toujours battu pour l’emploi, c’est dans notre ADN. Pour l’instant, tant que les mesures de soutien existent, on ne licencie pas.

EG : La brasserie qui existe depuis 1640 est-elle en danger ?

EH : Oui. Si la crise s’éternise, si les finances de nos clients sont impactées, s’il y a des fermetures de cafés, hôtels ou restaurants, cela pourrait avoir des conséquences terribles, mais nous restons optimistes. Depuis plusieurs années, on imaginait une grosse crise, on ne savait pas d’où elle allait venir, mais on se préparait à une période plus difficile.

EG : Comment vos salariés ont-ils réagi  ?

MH : il y a eu une très grande solidarité. Ils ont même proposé spontanément de remettre à l’année prochaine les négociations annuelles sur les salaires.

EG : Et vos clients ?

MH : Nous avons gardé un contact constant avec les CHR (Café/Hôtel/Restaurant), nous avons beaucoup communiqué, notamment sur Internet, en donnant des nouvelles régulièrement, et cela a été très apprécié.

EH : Il y a un attachement à la marque, un lien fort entre nos commerciaux et nos clients. Il était important pour nous de bien maintenir ce lien.

EG : Édouard, vous avez commencé à succéder à votre papa il y a six ans. Que vous a appris cette crise sur vous-même ?

EH : C’est un petit peu difficile comme question, c’est une période pendant laquelle je n’ai pas eu trop le temps d’y réfléchir. J’ai surtout fait face, je crois. Mais nous avons la chance d’être très bien entourés.

MH : Je dirais qu’il a conforté sa confiance en lui, qui était déjà grande.

EG : Et cette confiance vous permet de continuer à défendre les valeurs de METEOR ?

EH : Nous défendons une vision de l’économie alternative à celles de nos concurrents, qui sont des multinationales. Nos valeurs sont alsaciennes, notre capitalisme est durable; il vise avant tout à défendre l’emploi plus que de faire du profit immédiat. Je reprends les mots de mon père quand il dit que nous sommes une entreprise alsacienne familiale et indépendante, et j’ajoute « engagée » pour l’emploi et l’environnement, rurale donc forcément très connectée à l’environnement. Nous sommes aussi une entreprise de transformation de produits agricoles donc très connectés au monde agricole. On se rend bien compte que si nous voulons continuer à exister, il faut avoir accès à une eau de qualité, à des malts et des produits de qualité. Et je suis convaincu que les consommateurs qui choisissent METEOR partagent les valeurs que l’on porte.

EG : Quand votre papa avait 15 ans, il y avait 21 brasseries familiales et indépendantes dans la région, aujourd’hui METEOR est la dernière. Comment voyez-vous la brasserie du futur ?

EH : C’est une brasserie toujours très ancrée localement, j’y crois énormément. C’est une brasserie qui continue à mettre les produits de qualité et l’humain au centre, sachant que c’est souvent facile à dire, mais que cela demande beaucoup d’énergie et une culture d’entreprise très forte. C’est une brasserie durable, zéro carbone qui produit des bières consommées en France. Je crois de moins en moins au fait d’exporter de la bière à l’autre bout de la planète, même la meilleure bière du monde.

EG : Vous ne rêvez pas de conquérir l’univers ?

EH : Non. Je n’imagine pas que demain 2000 personnes travailleront à la brasserie, mais je peux imaginer que l’on fasse travailler 2000 personnes à travers différentes activités. Dans nos rêves les plus fous effectivement, on peut imaginer une constellation de brasseries locales.

EG : Comme celle de la rue du
22 novembre à Strasbourg…

EH : Depuis 2016, cela faisait partie de nos objectifs. Entre les années 30 et 60, il existait la Taverne Meteor, qui se trouvait rue du Vieux-Marché-aux-Vins, c’était une institution. Il est important pour nous de retrouver un lieu où l’on peut mettre à l’honneur toutes nos bières et aussi notre histoire. Le démarrage (avant la Covid) a été exceptionnel.

EG : Michel, à côté de votre fils, je vous sens très admiratif. Qu’avez-vous envie de lui dire ?

MH : « Continue sur ta lancée ». Je vis grâce à lui ma période professionnelle la plus heureuse, je suis de plus en plus en retrait et je vois que cela fonctionne dans l’état d’esprit dont j’ai moi-même hérité. Comme Yolande, je suis plein de confiance. Je crois qu’il a pris le meilleur de ses deux parents.