Mon ardoise d’écolière

Je me souviens avec force de l’ardoise d’école, non pas de la grande ardoise, le tableau, sur lequel nous écrivions avec de la craie, mais de la petite, individuelle, en ardoise naturelle, que chaque écolier avait dans son cartable.

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En vous montrant la mienne, c’est comme si je vous révélais un fragment d’intimité. Elle est une part de moi, qui m’a ouvert une multitude d’horizons. Car c’est avec elle que j’ai appris à lire et à écrire.

Je pensais à elle ces temps-ci, convaincue qu’elle n’existait plus, qu’elle était perdue ou qu’elle fut jetée au rebut. Ma fille l’avait en fait retrouvée en rangeant le grenier et elle la gardait précieusement. En la revoyant, c’est comme si une page d’enfance venait frapper à mon cœur.

Je suis touchée par son cadre en bois dans lequel elle est sertie et dont le contact est si agréable. Je suis aussi touchée par sa chiffonnette d’époque, attachée au bout d’un fil qui vient s’attacher dans le trou percé dans le cadre.

L‘ardoise permettait de s’entraîner, de faire des brouillons, de tracer des lignes de mots ou de chiffres pour obtenir l’assurance d’être prêt à les écrire dans le cahier. Je trouvais cette ardoise rassurante, car avec elle tout était éphémère : on pouvait d’un coup de chiffonnette effacer et repartir sur des bases nouvelles. Car, si l’écriture était effaçable, les fautes l’étaient tout autant. Si bien que cette mince plaque de couleur bleu anthracite m’apparaissait comme magique.

Simone Morgenthaler ©Hugo Cappa

Parfois, je l’essuyais à sec, et je soufflais sur elle pour déloger d’un recoin les traces de poudre laissées par la craie. Parfois, je l’essuyais avec un carré-éponge mouillé, pour une débarbouillette plus avancée.

En regardant la chiffonnette, je revois les mains de ma mère qui choisissent une chute de tissu. Ici il s’agit des restes d’une robe-tablier à carreau que j’aimais porter. J’entends aussi la musique de sa machine à coudre à pédalier pour coudre solidement cette chiffonnette, avec plusieurs passages en diagonales, pour solidifier cette manique qui aura tant à effacer. L’ardoise est une roche naturelle qui se dit de Schìffer en alsacien. L’ardoise à glisser dans le cartable se nomme d’Schìffertàfel. Le crayon d’ardoise avec lequel nous écrivions sur cette ardoise s’appelle de Grìffel. Nous l’appelions parfois Melichgrìffel, c’est-à-dire « mine de lait », lorsqu’il était de texture tendre. Lorsqu’il était de texture dure, il y avait plus de risques de le faire crisser lorsqu’il glissait sur l’ardoise. Et le son désagréable faisait mal aux oreilles.

Il y avait dans la salle de classe, le grand tableau en ardoise où l’on se rendait, souvent le cœur battant, car il fallait écrire devant la classe, voir la mer impressionnante de visages qui vous fixent. Il arrivait que la craie crisse et donne la chair de poule, qu’elle se casse en morceaux. Il fallait alors se baisser, sous les rires des écoliers, pour les ramasser.

L’ardoise sert aussi à couvrir les toits, notamment en Bretagne, en Touraine et en Savoie. Cette couverture en schiste, appréciée pour sa solidité, résiste de 70 à 300 ans. Mais elle n’a pas sa place sur les toits d’Alsace où la tuile traditionnelle est en terre cuite avec cette forme typée de queue de castor (dite Biiwerschwànz) qui rend nos toits traditionnels si joliment dentelés.

L’ardoise me rappelle aussi les marches d’été dans les Alpes, vers le col de Balme via des ardoisières. Quel plaisir de pique-niquer sur ces espaces de débris bleuâtres et cliquetants ! Ainsi déchiquetés, ils révèlent le côté mille-feuille du schiste. On peut à l’aide d’un fragment dessiner sur un autre et abandonner sur place, pour le promeneur suivant, ces dessins improvisés.

Pour en revenir à l’ardoise d’école, celle-ci existe encore, mais elle est en plastique. Par là même, elle a un seul avantage sur l’authentique : elle est incassable.

Je vous souhaite une belle rentrée et une bonne année scolaire. Réjouissez-vous d’apprendre, toujours et encore.
Car, comme le dit ce dicton alsacien :
jamais un érudit n’est tombé du ciel.
Es ìsch noch nie kenn Gelehrter vom Hìmmel g’fàlle.