Retour rue des fourmis #14 Le martinet

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Ambroise Perrin ©EG

Il était caché derrière les bocaux de conserves, dans le petit placard blanc accroché en hauteur sur le balcon côté rue, côté nord on disait avant d’avoir un frigo. Le martinet ne nous faisait pas vraiment peur, de toute façon, ce n’était que pour les garçons, et surtout pour moi puisque j’étais le plus grand et que je devais montrer le bon exemple. Il avait un manche en bois teint en jaune et des lanières noires en cuir. On pouvait l’acheter à la COOP. Papa ne s’en est jamais servi, mais pour maman cela servait de menace quand elle disait « je deviens folle, quelle horreur, j’en prends un et je tue l’autre avec ». C’était la plus douce des mamans, mais c’est vrai que nous étions parfois, comme écrit dans le bulletin, des enfants, des élèves turbulents.

Papa, c’était plutôt les bons points, si on avait aidé aux corvées, monté le bidon de mazout, rangé les vélos à la cave s’il pleuvait, épluché les légumes. Et surtout des bons points avec des calculs très compliqués pour les notes au-dessus de la moyenne et le bon classement dans la classe (si on était premier dans une matière, on doublait le nombre de bons points), et grosse perte de points si on était sous la moyenne, le terrible 10 sur 20. Les points se traduisaient en argent de poche pour acheter ce que l’on voulait, des livres de la bibliothèque rose ou verte. Maman prenait le martinet et m’appelait à la cuisine, pas la peine d’essayer de me cacher dans les 65 m² de l’appartement. En traînant un peu, elle était moins furieuse et oubliait pourquoi elle voulait me punir, et il suffisait de prendre un air contrit pour que ça passe, j‘étais bon acteur.

Les deux anecdotes que je vais raconter, c’est quand elle était « à bout de nerfs ». Elle me courait après, le martinet en main. J’avais délicatement cisaillé chacune des lanières à leur base et au premier coup, elles sont toutes tombées par terre. Na na na nanère ! « Fresch, insolent », disait grand-père. L’autre fois, j’ai joué au héros, bravant la punition, j’ai tendu les deux mains face aux coups et j’ai attrapé les lanières, tiré un coup sec, le manche échappa des mains de maman et alla la frapper au visage, une goutte de sang apparut sur la lèvre du bas et elle dit « tu m’as cassé une dent », je l’ai prise dans mes bras. Et ce fut tout.

Ambroise Perrin