Quel est votre lien au théâtre ?
Nicolas Scherr : Pour moi, c’est que tous les jeunes de Schirrhoffen en faisaient, mes parents m’ont inscrit presque malgré moi. C’étaient de chouettes moments, je me souviens des spectacles en plein été, puis j’ai gardé le lien en tant que spectateur. Je préfère largement aller aux spectacles vivants plutôt qu’au cinéma, et voir plutôt que faire. Dans l’association, je reste dans mon rôle de président, et ma famille fait partie des membres fondateurs.
Sophie Fillion : Moi, j’ai fait beaucoup de danse classique et de modern jazz, de 4 à 22 ans, jusqu’à 18h par semaine, et il me manquait toujours une chose : les mots. Petit à petit, j’ai découvert le théâtre qui est à mi-chemin des deux mondes entre la langue et le corps. En 2019, j’ai fait un stage du cours Florent, ici, une semaine. Je pensais que c’était de la découverte, mais à l’issue du stage, un jury faisait des sélections, et j’ai pu être reçue à l’école. De toute façon, Nicolas et moi nous ennuyions dans nos métiers, donc je suis partie quatre ans à Paris, d’abord au cours Florent, puis j’ai fait un atelier d’un an en Seine-Saint-Denis pour le festival Côté court. Il a donné Souviens-toi maman dont Maxi Flash a parlé en avril 2023.
Ingénieur et architecte, ces métiers vous ennuyaient ?
NS : J’ai fait l’école d’ingénieur en attendant d’être pilote. Depuis l’enfance, je suis passionné par l’aéronautique, mon grand-père était Malgré-nous et pilote de chasse, il s’est fait abattre lors du Débarquement et a survécu, il est mort à 98 ans. Toi Sophie, ta passion c’est le théâtre, le cinéma, les mots, la langue…
SF : C’est vaste, je n’aime pas un seul truc, ou alors, c’est mon théâtre. C’est un peu prétentieux de dire ça, mais c’est la rencontre de tellement d’univers, ça ne rentre pas dans une case !
Tant mieux, non ?
NS : C’est ce qu’on se dit, mais nos choix ne sont pas toujours compris, on nous voit comme des gens instables, alors que c’est le contraire, on sait ce qu’on veut, mais on n’a pas encore réussi à l’avoir.
SF : Pour moi archi d’intérieur, c’est parce que ça rassurait mes parents d’avoir un « vrai » métier. Pendant longtemps je voulais faire un métier artistique, mais je n’osais pas trop le dire. Les parents, les profs utilisaient beaucoup un mot, « capacités » et je le déteste. On peut avoir des capacités dans un domaine et vouloir faire autre chose.
Qu’est-ce qui vous ramène en Alsace ?
SF : J’ai monté une pièce de théâtre à Paris, et nous avons fait une résidence à Morsbronn en novembre 2023. C’était Les Bas-fonds de Maxime Gorki, avec treize comédiens, et à la fin, le spectacle était ouvert et gratuit pour le public. En décembre, je l’ai jouée à Paris, et, de retour ici, les gens du village m’ont demandé quand il y aurait un nouveau projet… De là est née l’envie de faire et aussi d’enseigner.
Comment vous est venu le nom de l’association Les oiseaux du monde ?
SF : C’était instinctif, quand j’ai peint le logo. Au début je n’arrivais pas à l’expliquer, mais maintenant je pense qu’un oiseau voyage, migre, n’a pas de frontières, s’adapte aux conditions, cette notion de liberté de l’oiseau, le monde entier lui appartient. C’est là que je vois le lien avec le théâtre, tellement de formes existent, de pièces, et on retrouve aussi des mondes, des langues, des histoires, des sensibilités différentes…
NS : Selon moi, les oiseaux sont les acteurs, ils ont des comportements et se mettent en scène. Et pour un passionné d’aéronautique, ça a du sens. Et on a trouvé chouette de demander à chacun de se présenter comme un oiseau !
« Dans la vie quotidienne, on s’identifie à travers de ce qu’on fait, notre métier, nos enfants… Le théâtre, c’est le lieu pour être qui on est »
Nicolas vous êtes une cigogne et Sophie un colibri sur votre page internet oiseauxdumondecont.wixsite.com/theatre. Cela correspond à qui vous êtes ?
SF : Se définir à travers des oiseaux, ça permet déjà d’être plus proche de ce qu’on est. Dans la vie quotidienne, on s’identifie à travers de ce qu’on fait, notre métier, nos enfants… Le théâtre, c’est le lieu pour être qui on est.
Qui on est alors qu’on joue un personnage ?
SF : Il y a toujours une petite part de soi. Chacun décide de ce qu’il a envie de mettre, il ne faut pas que ce soit traumatisant. Au théâtre, ce qui est beau, ce qui compte, c’est toute la troupe parce que chacun va avoir un vécu différent, et il va pouvoir interpréter, incarner un rôle d’une certaine manière, qui résonne avec sa vie.
Vous souhaitez rendre le théâtre accessible, par quels moyens ?
NS : Le premier point, c’est accessible dans un milieu rural. Il y a très peu de communes dans le Nord Alsace qui proposent des cours de théâtre en français, Strasbourg est trop loin, ça finit trop tard, ou c’est trop cher… Les cours sont aussi accessibles à tous les ménages, à 200€ l’année pour les ados ou adultes pour 35 semaines. Ensuite, c’est ouvert à tous les âges, enfants, ados, adultes et sur plusieurs secteurs.
Vous avez organisé des portes ouvertes le 18 septembre et pour ceux qui n’y étaient pas, le premier cours est toujours gratuit. Quel public touchez-vous ?
SF : C’était une super journée, on se rend très vite compte des problématiques liées aux âges. J’ai vu qu’à partir de 10-11 ans, il est plus difficile de convoquer l’imaginaire, on commence à se juger, à 13 ans, le rapport au corps est bloqué. Ils étaient dix de 6 à 13 ans, ce qui permet d’ouvrir un cours ado. C’est une tranche d’âge charnière pour s’accepter, comprendre ses émotions, s’exprimer, avoir plus confiance en soi.
NS : Les adultes étaient une dizaine aussi, de 23 à 65 ans, de Morsbronn, Lembach, Reichshoffen, Gœrsdorf… Surtout, on a tout fait nous-mêmes, aller voir les maires, distribuer les flyers, c’était une première !
Et vous souhaitez ouvrir un atelier cinéma aussi ?
SF : Oui à la rentrée 2025, le temps d’avoir des fonds pour investir dans du matériel. Le but est de faire un court métrage de l’écriture à la diffusion et que tout le monde puisse emprunter à l’association du matériel. Pour mars, on voudrait aussi inviter des artistes, l’idée est de faire un dîner spectacle, ainsi que des ateliers ponctuels en 2025, pour tous. À terme, nous aimerions nous déplacer dans les Ehpad, les écoles et auprès des personnes handicapées, parce qu’on devrait tous vivre mélangés et se sentir humains.
À la sortie de Souviens-toi maman, vous parliez de solastalgie—ou anxiété environnementale—, où en êtes-vous ?
SF : Ça va mieux. D’avoir fait le court métrage et partagé avec le public, je me suis rendu compte que le constat c’est une chose, mais derrière le mal-être, il y a la résilience, et elle amène des solutions concrètes.
Comme la naissance de votre association…
SF : Paris m’a marquée pour son côté monstrueux et inhumain, c’est comme ça que je l’ai vécu. C’est une ville qui va vite, j’avais du mal à supporter de passer à côté de gens qui n’ont rien, et moi je n’avais pas le temps pour eux. Là un atelier de théâtre, c’est pouvoir faire la rencontre d’humains et de sensibilités, il y a du bon dans l’humanité et ça fait partie du chemin.
NS : Nos expériences nous ont fait changer d’avis, on a vécu séparés pendant sept ans, et le fait de se mettre en danger fait qu’on ne se pose pas les mêmes questions. On apprend à se détacher de ce qui a moins d’importance, pour s’attacher plus aux gens et aux moments.