Un iceberg mit Zwiebel un Speck dans l’Antartique

Notre chroniqueur Ambroise Perrin nous propose pour cette rentrée une série qu'il intitule « Ce jour-là (en Alsace !) j'étais là... ». Chaque semaine une intrépide plongée littéraire dans des textes qui jalonnent l'identité de notre région. Cela commence toujours par une date précise pour raconter, avec un peu de dérision, une petite histoire. La littérature ayant le privilège de ne pas vérifier si tout est vrai, il reste l'essentiel, amuser les lecteurs de Maxi Flash.

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Le 6 janvier 2017, il est 14h30, et une jeune scientifique alsacienne, professeur bardée de diplômes et portant nonchalamment un petit tee-shirt blanc de touriste égarée, grimpe dans mon brise-glace, l’Astrolabe, du nom d’un objet savant pour un bateau qui va naviguer au milieu des icebergs dans l’Antarctique. Annabelle Kremer représente une cinquantaine d’enseignants alsaciens et bretons des Maisons de la science, qui veulent passionner leurs élèves en leur parlant du pôle Sud. Je suis le cuisinier du bateau et je me demande si elle ne va pas me demander des menus végétariens !

Annabelle est très sympathique, elle me raconte sa mission pédagogique et que c’est une énorme chance que de pouvoir passer quelques semaines tout en bas de la planète. Nous avons sur le bateau de strictes règles de sécurité, il faut être en très bonne forme physique, et une molaire de travers, vous ne montez pas à bord. Elle écrit donc un livre pour partager son goût de la recherche scientifique et raconter son raid dans le désert glacé et les champs de mesures magnétiques. Son livre sera descriptif, passionné et scolaire, moi je réponds que chaque fois que l’on embarque pour le pôle Sud, je rêve à l’Étoile mystérieuse de Tintin ou à l’Arche de Kerguelen de Jean-Paul Kaufmann. Le voyage est long, nous avons une coutume, chacun son tour fait la cuisine, son plat préféré. Annabelle nous réussit des flammekueche « canon », mit Zwiebel un Speck.

Le livre d’Annabelle Kremer sera un magnifique succès en Alsace, avec ses pages sur la faune benthique et sur tous les métiers exercés à la base de Dumont d’Urville. Au retour nous avions traversé une belle tempête au passage du cercle polaire, ce fut vraiment terrifiant, et nos peurs avaient créé de belles connivences. Pourtant, on s’est perdus de vue, la vie continue, comme on dit. La semaine dernière à Strasbourg, joli hasard, on se croise au supermarché de l’Orangerie, et nous voilà à reprendre nos souvenirs, goguenards au rayon poissonnerie devant des tas de petits monceaux de glace.

Mission Antarctique, passions et métiers au cœur de la science, Annabelle Kremer, Belin, 2020.

Ambroise Perrin