Vlou et Nicolas Kempf – Le pinceau à fleur de mots

L’une est née à Paris, mais a grandi à Hochfelden, l’autre est né à Obernai et habite Sélestat. Elle dessine, il écrit, ensemble ils échangent. Vlou et Nicolas Kempf forment le duo auteur des Contes des femmes d’Alsace, paru en novembre aux Éditions du Verger et troisième titre des formidables Contes rhénans. Leur rencontre prolifique donnera le sourire tant à leurs lecteurs qu’à ceux de Maxi Flash.

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Deux livres de contes qui en appellent d’autres pour Vlou et Nicolas Kempf. / ©SB
Bizarrement, Nicolas a commencé à la BD et Vlou à l’écriture, aujourd’hui c’est l’inverse…

Nicolas Kempf : J’avais déjà l’envie d’écrire quand j’étais gamin, mais mes premières tentatives sérieuses datent de quand j’étais étudiant en lettres. Je suis entré dans une petite maison d’édition, Le Verger, où j’ai fait tous les métiers, de secrétaire d’édition à la manutention. Puis je me suis mis à mon compte pour des travaux d’écriture, depuis dix ans maintenant j’écris pour les gens, les entreprises, sur commande, ou je corrige (www.ecriture-livres.fr). C’était ça, mes premières publications. Et enfin, j’ai publié des albums de BD, je suis l’auteur d’Envol qui est une fiction autour du passage de St-Exupéry en Alsace…

Mais vous n’êtes pas aux dessins dans ces BD ?

NK : Non, si je devais dessiner, ce serait catastrophique !

Et vous, Vlou, comment êtes-vous arrivée à l’illustration ?

Vlou : J’ai fait les Arts déco à Strasbourg, j’ai vécu à Berlin, au Royaume-Uni, aux États-Unis, j’ai travaillé dans l’audiovisuel plusieurs années. Je me suis mise à écrire des histoires pour enfants et des kamishibai, je cherchais un éditeur, et c’est comme ça que j’ai rencontré Pierre Marchant, directeur du Verger qui faisait de l’historique à l’époque. Il m’a donné plein de conseils et il m’a rappelée pour faire une couverture. Je dois approcher la centaine de couvertures au Verger, c’est ma porte d’entrée dans le monde de l’illustration ! Les dessinateurs sont juste des enfants qui n’ont jamais arrêté de dessiner ; aux Arts décoratifs, je pensais à la création en général sans média particulier.

Vlou illustre des livres et fait des couvertures de romans. / ©SB
Comment vous êtes-vous rencontrés ?

V : Merci Pierre ! L’éditeur a eu le nez creux, je ne suis pas sûre qu’il n’ait pas anticipé la chose…
NK : J’ai un peu la même impression… (rires)
V : Pierre nous a proposé de travailler ensemble sur cette collection des Contes rhénans. Le premier était Les plus beaux contes d’Alsace, une réédition de Sylvie de Mathuisieulx et Benjamin Strickler. C’était un livre isolé, c’est devenu une collection qui brasse large avec des sujets sympas.

Comment travaillez-vous, en binôme ou chacun pour soi ?

V : Comme on a déjà fait un livre, on se connaît un peu plus, on a très vite commencé à travailler ensemble dès le départ, il y a énormément d’interactions sur un projet comme ça. C’est l’affaire de plusieurs mois… On a fouillé chacun de son côté pour trouver la matière première, même si c’est Nico qui tient le haut du pavé.

NK : On a coopéré dès le début, et le nouveau thème, c’est l’idée de Vlou. Nous sommes tous deux lecteurs et amateurs de contes, on a nos sources et nos idées, mises en commun et selon des critères.

V : Toutes les générations devaient être représentées, toutes les classes sociales, il fallait que les hommes ne soient pas tous des méchants et des médiocres, il fallait de tout ! Les femmes sont dans l’action et prennent les décisions, se battent contre les préjugés, on voulait faire en sorte que les femmes soient leurs égales.

Ce sont des contes traditionnels, vous n’avez rien inventé ?

NK : Ce n’est pas de l’invention. On est parti du fond de contes alsaciens qu’on connaît, de Stoeber et Hinzelin principalement. Certains sont parfois faciles à dater vu les indices, le plus ancien est du 17e siècle, beaucoup du 19e, parfois du Moyen âge et il y en a qui sont intemporels : on n’arriverait pas à deviner à quelle époque ils se sont passés.

Nicolas Kempf écrit pour lui et sur commande. / ©SB
En revanche, vous avez arrangé les textes, avec des touches d’humour, du rythme, un lexique…

NK : Quand on avait les contes sous la main, le travail de réécriture a commencé, on a choisi certains éléments plutôt que d’autres pour les mettre en valeur et les arranger à notre sauce, c’est le travail de conteur. Ce qui est intéressant, c’est de créer une petite surprise à tout moment, et un effort sur la cadence dans les contes. On va beaucoup jouer sur la répétition, et dans la phrase elle-même, glisser la façon dont elle peut être lue. On utilise des mots rares, pas compliqués, avec un tout petit lexique, qui n’est pas fait pour être impressionnant. Idem dans le dessin : pour l’humour, on peut chercher des petits escargots, se concentrer sur les sourcils, et cette bichromie apporte de la force aux traits arrondis…

V : Les escargots sont parfois cachés, parfois tellement évidents qu’on ne les voit pas ! On aime bien d’abord penser à l’enfant parce que c’est le premier lecteur, mais on a aussi en tête la personne adulte qui va lire l’histoire et qui va être réceptive à autre chose. Quant aux couleurs, c’est de l’ordre de la bichromie, elles sont douces, mais aussi pimpantes, je mets une certaine densité dans l’aquarelle, et le blanc est pour ainsi dire une couleur, pour qu’un dessin respire. J’aime ajouter quelque chose par rapport au texte, pas faire une simple retranscription, quelques petits éléments permettent d’élargir l’angle de vue, je change l’éclairage.

Vous êtes crayon ou stylo en main toute la journée ?

V : Jamais ! (rires) Moi je dessine en permanence dans ma tête, je n’ai pas forcément besoin d’un crayon. En revanche, si l’image est bonne et marquante, elle attend sa réalisation, je ne l’oublie pas. Je ne dessine pas tout ce qui passe par ma tête (rires) ! Et il y a énormément de moments où j’ai l’air de ne rien faire, je déambule, mais en fait, je suis en train de construire toute l’image. Ce métier pour pouvoir en vivre, il faut bosser entre 12 et 16h par jour, je n’ai pas énormément de temps pour autre chose.

NK : Moi je suis à mon poste de travail, chez moi. Une partie de mes heures de travail est consacrée à l’écriture pour les autres, et ce genre de livre chouchou est intégré. Il y a aussi des moments où je réfléchis, je ne fais rien. Il ne faut pas formuler trop vite, parce que parfois c’est trop tôt, on aurait dû laisser décanter un peu.

On sent que vous vous appréciez, ça vous inspire ?

V : C’est surtout quand on se croise que c’est bien ! C’est assez rare, cette façon de bosser et cette émulation. Les premières images arrivent en discutant, on échange énormément, on s’oriente, on cherche un peu à tirer le meilleur l’un de l’autre, et à se pousser dans nos retranchements.

NK : C’est comme ça qu’on fait un bon bouquin, j’ai bossé avec d’autres dessinateurs, quand on est vraiment en interaction, ça se ressent dans le résultat. Avec Vlou, on a des approches différentes qui vont dans la même direction, le même type d’humour. C’est un mix qui marche bien.

Qu’aimez-vous l’un chez l’autre ?

NK : Moi, ce que j’aime dans les dessins de Vlou, c’est le dynamisme, par exemple cette scène de discussion sur la dernière de couverture, il y a deux sentiments qui passent et la composition est bien organisée.

V : Parfois on découvre des trucs, même à la deuxième lecture. C’est pensé pour ça aussi, on s’ennuie moins. C’est très bien ce qu’il fait Nico, je suis complètement fan !